Le mouvement Tradition Québec, soucieux de rester traditionnellement dans son temps, n'hésite pas à commenter l'actualité de manière objective, franche et nuancée; bref d'un point de vue catholique. Afin d'informer nos gens sur le monde moderne, nous proposons la biographie suivante: Que penser de Pierre Karl Péladeau? Un texte signé de monsieur Jean-Claude Dupuis, Ph.D.
L’arrivée de Pierre Karl Péladeau dans l’arène politique québécoise a suscité bien des commentaires. Louangé à droite, décrié à gauche : le patron de Quebecor ne laisse personne indifférent. Que faut-il en penser? PKP sera-t-il le sauveur du Québec ou le fossoyeur du Parti Québécois?
Frédéric Tremblay vient de publier une biographie de Pierre Karl Péladeau. L’auteur se classe lui-même à gauche, mais il avoue avoir été séduit par la personnalité de ce chevalier de l’industrie que l’on classe habituellement à droite. « Le ton de cette biographie est élogieux, dit-il, mais ce n’est pas une biographie autorisée. » En fait, l’ouvrage nous a paru plutôt objectif. Tremblay rassemble et synthétise avec talent les informations et les témoignages déjà publiés au sujet de PKP. Il trace un portrait nuancé de l’individu en laissant au lecteur le soin de se faire une opinion. En définitive, du bon journalisme.
Pierre Karl Péladeau est né en 1961. Son père, Pierre Péladeau, a lancé en 1964 le Journal de Montréal, un quotidien populaire (certains diront vulgaire) qui le conduira à la fortune. Mais ce n’est pas nécessairement facile d’être le fils d’un multimillionnaire. Pierre Karl n’a pas vécu une enfance heureuse. Son père était toujours absent. Sa mère était dépressive et elle se suicida en 1976. PKP rompit avec son père à l’âge de 18 ans. Il fit une crise au Club Saint-Denis, la très sélecte association des plus riches hommes d’affaires canadiens-français où son père l’avait introduit. « Vous êtes tous des bourgeois exploiteurs et je vais vous combattre! », leur cria-t-il sous les regards, plus amusés qu’agacés, de son père … et des autres bourgeois exploiteurs. Le fils du magnat de la presse jaune milita ensuite au sein du Parti communiste ouvrier, allant même jusqu’à modifier l’orthographe de son prénom de Pierre Carl à Pierre Karl, en l’honneur de Karl Marx. Il suivit des cours de philosophie à l’Université du Québec à Montréal, qui était, vers 1980, un haut lieu de la gauche radicale. Pierre Karl refusait tout argent de son père. Il travaillait comme plongeur pour payer ses études, il s’habillait au Village des Valeurs et il partageait un appartement miteux avec Charles Landry, le fils de Roger D. Landry, éditeur du journal La Presse. L’ancien colocataire de PKP se souvient avec humour de cette époque : « On se prenait pour des communistes. On avait passé à travers cent cinquante pages du Capital de Marx, et on avait trouvé ça ben correct. » Mais Pierre Karl lisait davantage. C’était un autodidacte qui contestait souvent ses professeurs. Cependant, il ne semble pas avoir retenu grand-chose de cette époque d’intense vie intellectuelle, sinon un vague relativisme philosophique puisé dans les ouvrages de Kant et d’Hegel.
Pierre Karl décida de poursuivre ses études à Paris. C’est là que son père le « récupéra » à l’occasion d’un dîner au luxueux restaurant Maxim’s en 1983. Le fils rebelle délaissa ses idées pseudo-révolutionnaires et revint au Québec pour étudier le droit à l’Université de Montréal.
Pierre Péladeau introduisit progressivement son fils dans l’empire Quebecor. Pierre Karl n’était guère apprécié. Autoritaire et colérique, il bousculait tout le monde sous prétexte d’améliorer l’efficacité de l’entreprise. On disait alors qu’il avait tout de son père … sauf les qualités. Mais Pierre Karl finit par démontrer qu’il n’était pas un simple « fils à papa ». Il possédait des talents d’entrepreneur comparables à ceux de son illustre paternel. Sa prise de contrôle de Vidéotron, au détriment de la puissance compagnie Rogers, fut un succès remarquable (2000). Mais Pierre Karl Péladeau n’est pas le même genre d’homme d’affaires que Pierre Péladeau, sans doute parce qu’il n’est pas de la même génération. Au temps de Péladeau père, un entrepreneur créait des emplois en lançant de nouveaux produits et en conquérant de nouveaux marchés. L’homme d’affaires était alors un bâtisseur. Aujourd’hui, le succès en affaires consiste à prendre le contrôle d’une entreprise déjà établie, mais qui éprouve des difficultés passagères, et à la « restructurer en rationalisant la production », ce qui veut dire supprimer des emplois et surcharger la tâche de ceux que l’on garde pour réduire la masse salariale et augmenter les profits à court terme. Ce « bon manager » sera alors admiré par ses pairs dans son club de golf. Pierre Karl Péladeau est un expert de ce genre d’opération. Il a réduit le nombre d’employés de Vidéotron de 2200 à 650 et ceux du Journal de Montréal de 280 à 68 par la méthode des sous-contrats, autrement dit par le recours au « cheap labour ». Lorsque les travailleurs se sont mis en grève pour sauver leurs emplois, il a réussi à faire fonctionner la boutique avec des scabs (personnel non syndiqué qui travaille malgré la grève). La revue américaine Forbes qualifie PKP de « manager » plutôt que « d’entrepreneur ». C’est l’homme du néolibéralisme mondialisant. Pierre Péladeau se préoccupait des travailleurs et des clients, mais Pierre Karl ne se préoccupe que des actionnaires. Il a fait craquer psychologiquement un bon nombre de cadres intermédiaires. C’est un patron impitoyable, aussi exigeant pour lui-même que pour les autres. Certains l’admirent, plusieurs le détestent. Sa maxime semble être : « Marche ou crève! »
La première conjointe de Pierre Karl Péladeau, Isabelle Hervet, était la fille d’un banquier français. Frédéric Tremblay ne dit presque rien d’elle, probablement parce que Pierre Karl en a lui-même peu parlé. Une enfant est issue de cette relation qui dura six ans (1994-2000). Marie est née en 2000. Son parrain est René Angélil et sa marraine Céline Dion. Mais Pierre Karl s’est séparé d’Isabelle Hervet peu de temps après la naissance leur fille. Il forme depuis 2001 un couple avec Julie Snyder, une animatrice de télévision et une femme d’affaires dynamique qui produit des émissions de variétés. Ils ont eu deux enfants : Thomas (2005) et Romy (2009). Pierre Karl Péladeau a brusquement rompu avec Julie Snyder le 24 décembre 2013, jour anniversaire du décès de son père. Mais le couple s’est ensuite réconcilié après avoir suivi une psychanalyse. Ils ont annoncé leur mariage légal à l’automne 2014. Pierre Karl Péladeau semble avoir une vie moins déréglée que celle de son père, qui était bien connu pour son alcoolisme et son donjuanisme. PKP ne boit ni alcool ni café; il n’aime pas les vêtements et les voitures de luxe; il vit dans un condominium relativement modeste pour un homme de son rang; c’est un sportif et un gars plutôt sympathique en dehors du bureau. Son plus grand vice est d’être workaholic. Mais on peut se demander si ses difficultés conjugales ne révèlent pas une instabilité psychologique inquiétante pour quelqu’un qui aspire à devenir premier ministre du Québec.
Julie Snyder a produit la fameuse série de téléréalité Star Académie, qui a fracassé tous les records de cote d’écoute au Québec. Mais le succès de cette émission reposait largement sur le soutien publicitaire que lui accordaient les médias de Quebecor. Les journalistes consciencieux se plaignaient du fait que les premières pages du Journal de Montréal et du Journal de Québec ne parlaient que de Star Académie pendant que la guerre d’Irak faisait rage. Pierre Péladeau n’a sûrement pas rehaussé le niveau intellectuel et moral des Québécois avec le Journal de Montréal et sa fameuse « page sept ». Mais le couple Péladeau-Snyder n’a pas moins contribué au processus d’abrutissement collectif de notre peuple avec Star Académie.
Toutefois, PKP ne supporte pas beaucoup la critique. Le réalisateur Louis Morisette est boycotté par le réseau de Quebecor depuis qu’il s’est moqué de lui dans un sketch du Bye Bye 2003 : « Séraphin Péladeau, un homme et ses péchés ». Le comédien et député péquiste Pierre Curzi a subi le même sort après s’être opposé à ce que l’État subventionne la construction du nouvel amphithéâtre de Québec (400 millions $), qui sera géré par Quebecor. PKP rêvait d’acheter le Canadien de Montréal en 1996, mais il s’est fait damer le pion par la famille Molson. Il veut prendre sa revanche avec le retour des Nordiques, aux frais des contribuables.
Frédéric Tremblay se demande si l’on a raison de classer Pierre Karl Péladeau à droite. D’après lui, PKP serait plutôt apolitique, sans conviction précise. L’auteur affirme que les médias de Quebecor ne font pas la promotion du néolibéralisme économique ou des valeurs traditionnelles, contrairement au National Post de Toronto qui soutient ouvertement les conservateurs de Stephen Harper. En fait, les médias de Quebecor ne défendent pas une idéologie quelconque, mais plutôt les intérêts privés de PKP. Lorsque la compagnie Rogers tentait d’acheter Vidéotron, le Journal de Montréal demandait à la Caisse de dépôts de placements du Québec d’intervenir pour éviter que ce « joyau de la culture québécoise » ne tombe aux mains des Canadiens anglais. Mais Quebecor était alors le seul concurrent de Rogers; et c’est en définitive avec l’argent de l’État provincial que PKP a réussi son prétendu « coup de génie ». Lorsque le Journal de Montréal a publié son virulent dossier « Le Québec est dans le Rouge! », il s’est abstenu de critiquer la subvention publique pour l’amphithéâtre des futurs Nordiques, de même que le financement par l’assurance-maladie de la reproduction assistée, une cause défendue par Julie Snyder. L’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney semble être le mentor de Pierre Karl Péladeau. N’est-il pas curieux qu’un fédéraliste plutôt centriste comme Mulroney soutienne la carrière politique d’un souverainiste de droite? Mais il faut dire que Brian et Pierre Karl ont un point en commun. À leurs yeux, ce qui est bon pour les riches est bon pour leur pays, que ce soit le Canada ou le Québec.
Tremblay doute même de la sincérité du souverainisme de PKP. Si l’indépendance du Québec correspond à ses « valeurs les plus profondes », comme il l’a dit en annonçant sa candidature pour le Parti Québécois, force est d’admettre qu’il n’en a rien laissé paraître avant l’âge de 53 ans. Pierre Karl Péladeau affirme qu’il a voté OUI au référendum de 1980. Mais il n’a même pas voté lors du référendum de 1995 parce qu’il se trouvait alors en Europe. Ses « valeurs les plus profondes » ne pouvaient-elles pas le motiver à revenir au Québec pour l’occasion, ou du moins à voter par correspondance, comme le permet la loi électorale?
Pierre Karl Péladeau est-il seulement nationaliste? Frédéric Tremblay le décrit comme un cosmopolite, plus « moderne » que son père sur ce plan : « Véritable citoyen du monde, il reste surtout un citoyen de Quebecor partout où il va. » PKP n’a-t-il pas supprimé l’accent aigu de Québecor pour mieux percer sur le marché anglophone?
Mais s’il n’a pas d’idées politiques, pourquoi a-t-il fait le saut en politique? Parce qu’il en avait assez de Quebecor ou, diront certains, parce que Quebecor en avait assez de lui? Parce qu’il avait tout simplement envie de faire autre chose, comme le pense Brian Mulroney? Si c’est le cas, nous sommes loin de nos grands hommes d’État du passé qui consacraient leur vie à la patrie au lieu d’utiliser la patrie pour rendre leur vie plus intéressante.
Pierre Karl Péladeau deviendra-t-il un « Berlusconi québécois »? Il y a loin de la coupe aux lèvres. Philippe Couillard (PLQ) et François Legault (CAQ) sont des adversaires de taille. Rien à voir avec les béni-oui-oui des conseils d’administration où PKP a oeuvré jusqu’à présent. La plupart des gens d’affaires qui se sont lancés en politique ont échoué. La vie publique et l’entreprise privée sont des univers très différents. La politique convient mieux aux avocats, aux professeurs, aux fonctionnaires et aux journalistes. En affaires, il faut prendre des décisions rapides et drastiques. Lorsque l’on contrôle la majorité des actions de l’entreprise, personne ne peut contester. Mais en politique, il faut savoir communiquer, concilier et temporiser; ce que PKP ne semble jamais avoir appris. Depuis le début de sa brève carrière politique, il a déjà commis trois bourdes notables : il a fait perdre la dernière élection au PQ en levant son poing gauche pour « faire le pays »; il a refusé obstinément de vendre ses actions de Quebecor médias; il s’est placé en conflit d’intérêts dès sa première intervention à l’Assemblée Nationale. Il fera sûrement d’autres erreurs. Et les journalistes, qui ont un compte à régler avec lui depuis la grève du Journal de Montréal, l’attendent au détour.
La faillite est la sanction de l’entrepreneur incompétent. Mais rappelons-nous que la sanction du chef d’État incompétent, ce n’est pas seulement la défaite électorale, c’est aussi la misère du peuple.
Frédéric Tremblay, Pierre-Karl Péladeau, Québec, Les Intouchables, 2014, 250 p.
-Jean-Claude Dupuis, Ph.D., Février 2015
jeanclaudedupuis@videotron.ca
L’arrivée de Pierre Karl Péladeau dans l’arène politique québécoise a suscité bien des commentaires. Louangé à droite, décrié à gauche : le patron de Quebecor ne laisse personne indifférent. Que faut-il en penser? PKP sera-t-il le sauveur du Québec ou le fossoyeur du Parti Québécois?
Frédéric Tremblay vient de publier une biographie de Pierre Karl Péladeau. L’auteur se classe lui-même à gauche, mais il avoue avoir été séduit par la personnalité de ce chevalier de l’industrie que l’on classe habituellement à droite. « Le ton de cette biographie est élogieux, dit-il, mais ce n’est pas une biographie autorisée. » En fait, l’ouvrage nous a paru plutôt objectif. Tremblay rassemble et synthétise avec talent les informations et les témoignages déjà publiés au sujet de PKP. Il trace un portrait nuancé de l’individu en laissant au lecteur le soin de se faire une opinion. En définitive, du bon journalisme.
Pierre Karl Péladeau est né en 1961. Son père, Pierre Péladeau, a lancé en 1964 le Journal de Montréal, un quotidien populaire (certains diront vulgaire) qui le conduira à la fortune. Mais ce n’est pas nécessairement facile d’être le fils d’un multimillionnaire. Pierre Karl n’a pas vécu une enfance heureuse. Son père était toujours absent. Sa mère était dépressive et elle se suicida en 1976. PKP rompit avec son père à l’âge de 18 ans. Il fit une crise au Club Saint-Denis, la très sélecte association des plus riches hommes d’affaires canadiens-français où son père l’avait introduit. « Vous êtes tous des bourgeois exploiteurs et je vais vous combattre! », leur cria-t-il sous les regards, plus amusés qu’agacés, de son père … et des autres bourgeois exploiteurs. Le fils du magnat de la presse jaune milita ensuite au sein du Parti communiste ouvrier, allant même jusqu’à modifier l’orthographe de son prénom de Pierre Carl à Pierre Karl, en l’honneur de Karl Marx. Il suivit des cours de philosophie à l’Université du Québec à Montréal, qui était, vers 1980, un haut lieu de la gauche radicale. Pierre Karl refusait tout argent de son père. Il travaillait comme plongeur pour payer ses études, il s’habillait au Village des Valeurs et il partageait un appartement miteux avec Charles Landry, le fils de Roger D. Landry, éditeur du journal La Presse. L’ancien colocataire de PKP se souvient avec humour de cette époque : « On se prenait pour des communistes. On avait passé à travers cent cinquante pages du Capital de Marx, et on avait trouvé ça ben correct. » Mais Pierre Karl lisait davantage. C’était un autodidacte qui contestait souvent ses professeurs. Cependant, il ne semble pas avoir retenu grand-chose de cette époque d’intense vie intellectuelle, sinon un vague relativisme philosophique puisé dans les ouvrages de Kant et d’Hegel.
Pierre Karl décida de poursuivre ses études à Paris. C’est là que son père le « récupéra » à l’occasion d’un dîner au luxueux restaurant Maxim’s en 1983. Le fils rebelle délaissa ses idées pseudo-révolutionnaires et revint au Québec pour étudier le droit à l’Université de Montréal.
Pierre Péladeau introduisit progressivement son fils dans l’empire Quebecor. Pierre Karl n’était guère apprécié. Autoritaire et colérique, il bousculait tout le monde sous prétexte d’améliorer l’efficacité de l’entreprise. On disait alors qu’il avait tout de son père … sauf les qualités. Mais Pierre Karl finit par démontrer qu’il n’était pas un simple « fils à papa ». Il possédait des talents d’entrepreneur comparables à ceux de son illustre paternel. Sa prise de contrôle de Vidéotron, au détriment de la puissance compagnie Rogers, fut un succès remarquable (2000). Mais Pierre Karl Péladeau n’est pas le même genre d’homme d’affaires que Pierre Péladeau, sans doute parce qu’il n’est pas de la même génération. Au temps de Péladeau père, un entrepreneur créait des emplois en lançant de nouveaux produits et en conquérant de nouveaux marchés. L’homme d’affaires était alors un bâtisseur. Aujourd’hui, le succès en affaires consiste à prendre le contrôle d’une entreprise déjà établie, mais qui éprouve des difficultés passagères, et à la « restructurer en rationalisant la production », ce qui veut dire supprimer des emplois et surcharger la tâche de ceux que l’on garde pour réduire la masse salariale et augmenter les profits à court terme. Ce « bon manager » sera alors admiré par ses pairs dans son club de golf. Pierre Karl Péladeau est un expert de ce genre d’opération. Il a réduit le nombre d’employés de Vidéotron de 2200 à 650 et ceux du Journal de Montréal de 280 à 68 par la méthode des sous-contrats, autrement dit par le recours au « cheap labour ». Lorsque les travailleurs se sont mis en grève pour sauver leurs emplois, il a réussi à faire fonctionner la boutique avec des scabs (personnel non syndiqué qui travaille malgré la grève). La revue américaine Forbes qualifie PKP de « manager » plutôt que « d’entrepreneur ». C’est l’homme du néolibéralisme mondialisant. Pierre Péladeau se préoccupait des travailleurs et des clients, mais Pierre Karl ne se préoccupe que des actionnaires. Il a fait craquer psychologiquement un bon nombre de cadres intermédiaires. C’est un patron impitoyable, aussi exigeant pour lui-même que pour les autres. Certains l’admirent, plusieurs le détestent. Sa maxime semble être : « Marche ou crève! »
La première conjointe de Pierre Karl Péladeau, Isabelle Hervet, était la fille d’un banquier français. Frédéric Tremblay ne dit presque rien d’elle, probablement parce que Pierre Karl en a lui-même peu parlé. Une enfant est issue de cette relation qui dura six ans (1994-2000). Marie est née en 2000. Son parrain est René Angélil et sa marraine Céline Dion. Mais Pierre Karl s’est séparé d’Isabelle Hervet peu de temps après la naissance leur fille. Il forme depuis 2001 un couple avec Julie Snyder, une animatrice de télévision et une femme d’affaires dynamique qui produit des émissions de variétés. Ils ont eu deux enfants : Thomas (2005) et Romy (2009). Pierre Karl Péladeau a brusquement rompu avec Julie Snyder le 24 décembre 2013, jour anniversaire du décès de son père. Mais le couple s’est ensuite réconcilié après avoir suivi une psychanalyse. Ils ont annoncé leur mariage légal à l’automne 2014. Pierre Karl Péladeau semble avoir une vie moins déréglée que celle de son père, qui était bien connu pour son alcoolisme et son donjuanisme. PKP ne boit ni alcool ni café; il n’aime pas les vêtements et les voitures de luxe; il vit dans un condominium relativement modeste pour un homme de son rang; c’est un sportif et un gars plutôt sympathique en dehors du bureau. Son plus grand vice est d’être workaholic. Mais on peut se demander si ses difficultés conjugales ne révèlent pas une instabilité psychologique inquiétante pour quelqu’un qui aspire à devenir premier ministre du Québec.
Julie Snyder a produit la fameuse série de téléréalité Star Académie, qui a fracassé tous les records de cote d’écoute au Québec. Mais le succès de cette émission reposait largement sur le soutien publicitaire que lui accordaient les médias de Quebecor. Les journalistes consciencieux se plaignaient du fait que les premières pages du Journal de Montréal et du Journal de Québec ne parlaient que de Star Académie pendant que la guerre d’Irak faisait rage. Pierre Péladeau n’a sûrement pas rehaussé le niveau intellectuel et moral des Québécois avec le Journal de Montréal et sa fameuse « page sept ». Mais le couple Péladeau-Snyder n’a pas moins contribué au processus d’abrutissement collectif de notre peuple avec Star Académie.
Toutefois, PKP ne supporte pas beaucoup la critique. Le réalisateur Louis Morisette est boycotté par le réseau de Quebecor depuis qu’il s’est moqué de lui dans un sketch du Bye Bye 2003 : « Séraphin Péladeau, un homme et ses péchés ». Le comédien et député péquiste Pierre Curzi a subi le même sort après s’être opposé à ce que l’État subventionne la construction du nouvel amphithéâtre de Québec (400 millions $), qui sera géré par Quebecor. PKP rêvait d’acheter le Canadien de Montréal en 1996, mais il s’est fait damer le pion par la famille Molson. Il veut prendre sa revanche avec le retour des Nordiques, aux frais des contribuables.
Frédéric Tremblay se demande si l’on a raison de classer Pierre Karl Péladeau à droite. D’après lui, PKP serait plutôt apolitique, sans conviction précise. L’auteur affirme que les médias de Quebecor ne font pas la promotion du néolibéralisme économique ou des valeurs traditionnelles, contrairement au National Post de Toronto qui soutient ouvertement les conservateurs de Stephen Harper. En fait, les médias de Quebecor ne défendent pas une idéologie quelconque, mais plutôt les intérêts privés de PKP. Lorsque la compagnie Rogers tentait d’acheter Vidéotron, le Journal de Montréal demandait à la Caisse de dépôts de placements du Québec d’intervenir pour éviter que ce « joyau de la culture québécoise » ne tombe aux mains des Canadiens anglais. Mais Quebecor était alors le seul concurrent de Rogers; et c’est en définitive avec l’argent de l’État provincial que PKP a réussi son prétendu « coup de génie ». Lorsque le Journal de Montréal a publié son virulent dossier « Le Québec est dans le Rouge! », il s’est abstenu de critiquer la subvention publique pour l’amphithéâtre des futurs Nordiques, de même que le financement par l’assurance-maladie de la reproduction assistée, une cause défendue par Julie Snyder. L’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney semble être le mentor de Pierre Karl Péladeau. N’est-il pas curieux qu’un fédéraliste plutôt centriste comme Mulroney soutienne la carrière politique d’un souverainiste de droite? Mais il faut dire que Brian et Pierre Karl ont un point en commun. À leurs yeux, ce qui est bon pour les riches est bon pour leur pays, que ce soit le Canada ou le Québec.
Un ancien maître a penser de Pierre Karl Péladeau: Karl Marx. |
Pierre Karl Péladeau est-il seulement nationaliste? Frédéric Tremblay le décrit comme un cosmopolite, plus « moderne » que son père sur ce plan : « Véritable citoyen du monde, il reste surtout un citoyen de Quebecor partout où il va. » PKP n’a-t-il pas supprimé l’accent aigu de Québecor pour mieux percer sur le marché anglophone?
Mais s’il n’a pas d’idées politiques, pourquoi a-t-il fait le saut en politique? Parce qu’il en avait assez de Quebecor ou, diront certains, parce que Quebecor en avait assez de lui? Parce qu’il avait tout simplement envie de faire autre chose, comme le pense Brian Mulroney? Si c’est le cas, nous sommes loin de nos grands hommes d’État du passé qui consacraient leur vie à la patrie au lieu d’utiliser la patrie pour rendre leur vie plus intéressante.
Pierre Karl Péladeau deviendra-t-il un « Berlusconi québécois »? Il y a loin de la coupe aux lèvres. Philippe Couillard (PLQ) et François Legault (CAQ) sont des adversaires de taille. Rien à voir avec les béni-oui-oui des conseils d’administration où PKP a oeuvré jusqu’à présent. La plupart des gens d’affaires qui se sont lancés en politique ont échoué. La vie publique et l’entreprise privée sont des univers très différents. La politique convient mieux aux avocats, aux professeurs, aux fonctionnaires et aux journalistes. En affaires, il faut prendre des décisions rapides et drastiques. Lorsque l’on contrôle la majorité des actions de l’entreprise, personne ne peut contester. Mais en politique, il faut savoir communiquer, concilier et temporiser; ce que PKP ne semble jamais avoir appris. Depuis le début de sa brève carrière politique, il a déjà commis trois bourdes notables : il a fait perdre la dernière élection au PQ en levant son poing gauche pour « faire le pays »; il a refusé obstinément de vendre ses actions de Quebecor médias; il s’est placé en conflit d’intérêts dès sa première intervention à l’Assemblée Nationale. Il fera sûrement d’autres erreurs. Et les journalistes, qui ont un compte à régler avec lui depuis la grève du Journal de Montréal, l’attendent au détour.
La faillite est la sanction de l’entrepreneur incompétent. Mais rappelons-nous que la sanction du chef d’État incompétent, ce n’est pas seulement la défaite électorale, c’est aussi la misère du peuple.
Frédéric Tremblay, Pierre-Karl Péladeau, Québec, Les Intouchables, 2014, 250 p.
-Jean-Claude Dupuis, Ph.D., Février 2015
jeanclaudedupuis@videotron.ca