samedi 14 mars 2020

Duplessis contre la laïcisation du système scolaire et son étatisation

L'ambiance est bien préparée pour l'inauguration d'un pont sur la rivière Bersimis, cérémonie laïque où le premier ministre doit prononcer un discours important. Fanfares, estrades, haut-parleurs, ciseaux et ruban : rien ne manque. Tous les journaux sont représentés à l'exception du Devoir, qui n'a pas été invité et se contentera des communiqués de la Presse canadienne.

Duplessis a décidé d'aborder deux thèmes : l'autonomie et l'enseignement.

L'Association des Diplômés de l'Université de Montréal et la Chambre de commerce des Jeunes de Montréal ont relancé le débat sur les subventions aux universités. L'Association des Diplômés suggère la formation d'une fédération des associations de diplômés, sorte de pendant de l'Association des Universités canadiennes, qui distribuerait les subventions fédérales. La Chambre de commerce des Jeunes suggère la formation d'une commission provinciale des universités et des collèges, qui répartirait les subventions fédérales et provinciales. La réforme de l'enseignement est aussi à l'ordre du jour. On en discute dans les associations d'instituteurs. De jeunes ministres comme Yves Prévost et Jean-Jacques Bertrand pensent qu'il serait temps de faire évoluer l'enseignement dans la province - ou d'accélérer son évolution. Si l'on entend par là, une orientation vers le commerce et vers les sciences, Duplessis en est, sans hésiter. Mais les anticléricaux ont depuis toujours pris la réforme de l'enseignement comme cheval de bataille. Une série d'incidents laisse prévoir, de leur part, une nouvelle offensive. Aux États-Unis se mène une campagne pour substituer l'hymne national à la prière, au commencement des classes. Le Toronto Star a publié, en deux éditoriaux, une longue entrevue avec un rabbin, qui souhaite l'abolition de l'enseignement religieux dans les écoles. À Montréal, Jean-Louis Gagnon exprime ou paraît exprimer le même souhait. Et le principal de l'Université McGill, rentrant d'un voyage en Russie, vante l'enseignement - athée - dispensé dans ce pays. Serait-ce un concert orchestré ? Les instituteurs et à plus forte raison les jeunes ministres qui souhaitent une évolution de l'enseignement n'ont pas d'arrière-pensées. Mais Duplessis croit déceler l'action des mangeurs de curés derrière les réformateurs de bonne foi. Le discours de Bersimis est une· défense de l'autonomie - ou une attaque contre les centralisateurs - et une défense de la confessionnalité scolaire - ou une attaque contre les réformateurs « aux idées plus que nuancées ».

Les subventions offertes aux universités et aux collèges préparent un assaut fédéral à tout le domaine de l'enseignement, primaire compris. « La province de Québec doit conserver ses droits en matière d'éducation. Le gouvernement fédéral - celui d'aujourd'hui comme celui d'hier - a tendance à pénétrer dans le domaine éducationnel. Ses octrois sont puisés à même l'argent qui nous a été enlevé ... Nos écoles dans la province de Québec sont basés sur le système confessionnel. Il n'y a pas d'éducation possible si elle n'est pas basée sur la religion ... Nous avons dans là province de Québec un système scolaire qui rend justice à toutes les minorités, et nous ne mettrons pas cette tradition de côté... Dans la province de Québec, tant que celui qui vous parle sera premier ministre, l'enseignement sera confessionnel... »

Duplessis a le visage fatigué. Au début, l’œil est moins clair, les mouvements sont moins nets ; mais l'orateur s'anime, une fois son discours entamé. La voix est alors bien timbrée, le débit bien assuré. Duplessis parle sans notes. Il exprime la profonde conviction que son père lui a transmise et que presque tous ses compatriotes ont reçu, comme lui, dans leur héritage. Il fait appel à tous :

C'est un coup de clairon que je sonne aujourd'hui, non pas comme chef de l'Union nationale, mais comme premier ministre de la province de Québec, ayant une expérience assez considérable et pouvant déclarer en toute franchise, sans arrière-pensée, que si bien du monde aime leur province autant que je l'aime, personne n'aime la province de Québec plus que celui qui vous parle ; et c'est pour cela que je vous dis, citoyens de Hauterive, du comté du Saguenay, qu'il faut de toute nécessité s'unir ; s'unir dans la revendication de nos droits ; s'unir contre les tentatives de neutralité scolaire ; s'unir contre les accaparements ... L'union de toutes les bonnes volontés est nécessaire pour que nos écoles continuent à se multiplier, pour que l'enseignement continue à s'inspirer de la lumière éternelle, qui ne s'éteint jamais et qui ne s'éteindra jamais, et pour que la province de Québec poursuive sa marche vers un progrès constant, de plus en plus considérable, dans le respect des droits de tout le monde, mais dans la ferme décision de sauvegarder les siens et de résister à tous les assauts, peu importe la couleur de ceux qui les font.

C'est à Bersimis, le 1er juin 1959. Le biographe pourra plus tard trouver à ce discours, aux aspects de profession de foi, une résonance pathétique de testament. Pour l'heure, journalistes et hommes politiques pensent que Duplessis a lancé, dans son « coup de clairon », le double thème de la prochaine campagne électorale. Jean Lesage vient à Baie-Comeau la semaine suivante, Il reproche au premier ministre de s'élever contre une menace inexistante à l'enseignement confessionnel : « M. Duplessis et sa clique ont décidé qu'il fallait frapper un grand coup pour faire croire au peuple de Québec qu'il existait un complot visant à l'abolition de l'enseignement de la religion dans les écoles de la province de Québec ... » Jean Drapeau tient une assemblée à Saint-Georges de Beauce. Il s'en prend au « régime Duplessis », chargé de toutes les tares et de tous les péchés : « Mensonge, hypocrisie, concussion ... » Il préconise la nationalisation « de tout ce qui prend un aspect d'important service public » et l'intervention de l'État « dans plusieurs secteurs de l'économie ».



-Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, tome II. Editions Fides. Montréal. 1973. p.693-695



[NDLR] : Pour compléter cet article, voici un extrait de son discours à Sainte-Anne-de-la-Pocatière en 1959. Visiblement, Maurice Duplessis avait assez de raisons pour croire que certains conspiraient pour abattre le système d'éducation confessionnel, qu'il en a fait allusion dans au moins 2 de ses derniers discours. 60 ans plus tard, les faits lui donnent raison.


jeudi 5 mars 2020

L'union de l'Eglise et de l'Etat

La société religieuse et la société civile jouissent toutes deux, dans la sphère qui leur est propre, d'une réelle souveraineté. Sans doute, l'Eglise, à l'instar de ces cimes grandioses qui dominent toute une contrée, l'emporte essentiellement sur l'Etat : elle lui est supérieure et par sa nature et par sa fin ; elle étend jusque sur lui la majesté de son sceptre : non pas, toutefois, pour lui ravir ses attributions ordinaires et l'absorber comme une partie d'elle-même. En face de l'Eglise ou, pour parler plus exactement,  au-dessous d'elle, l'Etat garde son être distinct, ses droits et ses pouvoirs.

Quels sont donc les rapports, quelle doit être l'attitude respective de ces deux sociétés? Sont-elles par leur nature même, par une sorte de nécessité latente et d'irrésistible fatalité, condamnées à vivre comme deux nations jalouses, dans un état de suspicion réciproque et d'antagonisme permanent? Doivent-elles s'ignorer l'une l'autre, ou ne se connaître et prendre mutuellement contact que pour afficher, par un éclatant divorce, leur incompatibilité ? L'isolement,la séparation, le schisme: est-ce bien là leur condition normale, leur manière d'être naturelle ?

Cette question, de suprême importance à toutes les époques, emprunte aux derniers événements de France un caractère singulièrement actuel. Au lendemain de la crise où, pour la première fois depuis le baptême de Clovis et la naissance de la fille aînée de l'Eglise, les chefs d'Etat français, rompant avec une tradition plusieurs fois séculaire, ont préconisé en théorie et décrété en pratique la dissolution du lien social qui, d'abord par alliance spontanée, puis par entente concordataire, avait fortement uni Rome et la France, il est opportun de se demander si c'est là l'unique solution désirable du plus grave de tous les problèmes politico-religieux; si, en se séparant de l'Eglise, la France a vraiment fait un pas dans la voie du progrès ; si elle s'est acheminée vers un idéal qu'il faille désormais proposer aux aspirations inquiètes et aux suprêmes visées des nations.

Pour répondre à ces questions, il importe en premier lieu de bien définir les termes de la thèse que nous avons en vue. Que faut-il entendre par union de l'Eglise et de l'Etat ?—Union, évidemment, ne veut dire ici ni mélange, ni fusion ou absorption. Quand la puissance civile et la puissance religieuse se donnent amicalement la main, ce n'est ni pour placer leurs institutions sur un même pied, ni pour unifier leur législation dans un même moule, ni pour soumettre leurs sujets au joug d'un même empire. C'est pour se concerter, c'est pour s'entendre, c'est pour établir entre l'une et l'autre partie un accord sérieux et durable, basé sur la reconnaissance mutuelle des droits et l'accomplissement fidèle des devoirs inhérents aux deux sociétés.

Reconnaissance des droits de l'Eglise par l'Etat et des droits de l'Etat par l'Eglise ; accomplissement des devoirs qui les obligent mutuellement, l'Eglise à l'égard de l'Etat, l'Etat à l'égard de l'Eglise : telles nous semblent être les deux conditions essentielles, les deux éléments nécessaires et constitutifs de cette union d'où résulte, dans l'équité et la justice, la tranquillité publique et l'harmonie sociale.

Au reste, l'union de l'Eglise et de l'Etat comporte divers degrés. Elle peut être plus ou moins étroite, selon que les deux pouvoirs harmonisent plus parfaitement, plus universellement leur législation et se prêtent un plus franc et plus énergique appui. Tous ces degrés, néanmoins, peuvent se ramener à deux chefs principaux: l'union ou l'alliance proprement dite, et le système spécial des concordats.

" Dans le régime de l'union proprement dite, les deux pouvoirs s'appuient étroitement l'un sur l'autre.—Pour arriver plus facilement à leur fin respective, chacun apporte à l'autre le concours de sa force et de ses moyens d'action. D'une part, pour le bonheur et la sécurité du gouvernement et du peuple, l'Eglise met au service de l'Etat ses prières, son enseignement, son droit de justice afflictive et, au besoin, jusqu'à ses ressources matérielles. D'autre part, la nation, reconnaissant la mission divine de l'Eglise et la supériorité de son pouvoir, accepte la religion comme religion d'Etat, la prend pour règle de la société civile et de son gouvernement, de la même manière à peu près que les particuliers la prennent pour règle de leur conduite privée. Tout en restant maître sur son domaine, l'Etat approprie et coordonne sa législation à celle de l'Eglise, en adoptant ses principes de morale et en assurant l'exécution de ses ordonnances. En un mot, toute la législation civile est mise en parfaite harmonie avec les lois ecclésiastiques : les droits et les immunités des ministres sacrés et des choses de la religion sont reconnus et respectés ; l'Etat accorde à l'Eglise l'appui de son autorité, protège sa doctrine, exécute ses lois et ses jugements, réprime tout acte d'hostilité contre elle, usant de plus ou moins d'intolérance, suivant les circonstances, envers les dissidents hérétiques, schismatiques, apostats.

L'union qui vient d'être décrite élève donc la religion du Christ au rang de religion d'Etat.


-Mgr Louis-Adolphe Paquet, Droit public de l'Eglise - principes généraux. Imprimerie de l'Action Sociale. Québec. 1908. P. 224-226.

jeudi 12 décembre 2019

Peut-il y avoir des guerres justes?

Les hérétiques manichéens condamnaient toutes les guerres sans restrictions, et ils allaient jusqu’à blâmer Moïse pour celles qu’il fît par ordre de Dieu même. Voilà les excellents maîtres de ceux qui de nos jours réprouvent toute guerre, juste ou injuste. Quelqu’un nous disait un jour, ne pas vouloir d’un roi qui, pour monter sur le trône, ferait couler une seule goutte de sang. Ce mot est celui d’un honnête homme. Mais aucun concile n’a décidé qu’un homme de bien dût être incapable de dire une sottise. Nous fûmes obligés de lui répondre qu’il était plus charitable que Dieu. Nous ajoutâmes que le sang et la vie ne sont pas ce que nous avons de plus précieux, et que, d’après l’enseignement de la droite raison et du sens commun, les biens de moindre importance doivent toujours être sacrifiés aux biens d’un ordre supérieur.

Dans l’Ancien Testament, Dieu a ordonné et même approuvé des guerres, non seulement extérieures, mais encore civiles, non seulement défensives, mais encore offensives ; pour le savoir, il suffit de consulter les saintes Écritures. David chantait les louanges de Dieu, en disant : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui forme mes mains aux combats et qui prépare mes doigts à la guerre. » Dans le Nouveau Testament, il est dit que plusieurs soldats se présentant un jour dans le désert au grand prédicateur de la pénitence lui demandèrent : « Et nous, que devrons-nous faire? » S. Jean- Baptiste leur répondit : « N’usez de violence ni de fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde », mais il ne leur dit pas d’abandonner les armes. Jésus, même de sa bouche divine, a loué la foi du centurion ; mais, comme dit S. Augustin, à qui nous empruntons cette doctrine, il ne lui a pas ordonné d’abandonner sa profession militaire.

Cependant, dira peut-être quelque ami exagéré de la paix, Jésus est tellement loin de permettre la guerre qu’il nous ordonne, si l’on nous frappe sur une joue, de tendre l’autre. Certes la parole divine mérite un grand respect et on ne doit ni l’exagérer ni en défigurer le sens ; mais si c’était là un précepte, il impliquerait l’obligation de donner votre manteau à qui voudrait vous arracher votre habit, de porter à deux mille pas un fardeau qu’un rustre vous aurait imposé pour une longueur de mille. Ceux qui s’entendent en ces matières affirment qu’il n’y a pas là de précepte, mais un conseil s’appliquant, non pas au fait matériel de la guerre, mais à la disposition morale de ceux qui la font ; c’est ainsi que sont loués ces vrais Israélites qui marchaient à la guerre, sans haine dans le cœur, sans ambition, sans cruauté, sans désir de mal faire, mais seulement avec la volonté de défendre le bien. Tout au moins, ajouteront certaines gens doucereux, soit que l’étranger ait envahi injustement notre territoire, soit que les méchants usurpent le pouvoir suprême et tyrannisent les bons, c’est toujours un châtiment de Dieu qui nous visite dans nos iniquités, et que nous devons souffrir avec résignation, sans nous opposer jamais à la volonté divine, au moyen des armes. — Ceux qui s’expriment ainsi ne savent pas qu’ils se font tout simplement l’écho du frère Martin Luther. Car, cet énergumène, qui s’enrouait à crier que tous eussent à prendre les armes contre le pape comme contre un chien enragé, s’appuyait sur cette argumentation mystique pour condamner la guerre contre le Turc. Mais un savant de ces temps-là lui répliquait : « D’après cette doctrine, il ne serait pas permis non plus de se prémunir contre la faim ni de prendre des médicaments contre les maladies, ni des préservatifs contre la peste, puisqu’il est bien admis que par tous ces malheurs Dieu nous visite dans nos iniquités. »

Il ne manque pas enfin d’hommes disant que le bon chrétien n’a qu’un devoir, celui de prier le Seigneur de nous délivrer des maux qui nous accablent, et de nous accorder, quand et comme il lui plaira, les biens qui nous manquent. Disons en passant que ceux qui tiennent ce langage ne sont pas assurément les plus empressés à prier. Les personnes adonnées à la prière, quand elles ont réchauffé leur volonté à ce foyer des bons sentiments, se mettent à faire ce qui est en leur pouvoir ; elles ne prétendent pas que le Ciel fasse continuellement des miracles. Que Dieu nous garde de déprécier et de diminuer l’efficacité de la prière ; elle est la clef du ciel, le moyen le plus assuré d’attirer sur le monde la pluie bienfaisante des miséricordes divines. Nous accordons également que, pour beaucoup de personnes, le devoir sera de prier, cela est clair : il y en a qui ne peuvent faire autre chose. Mais qu’on ne prétende pas faire de cette exception une règle, et dire en général que le bon chrétien n’a qu’un devoir, celui de prier. La prière sans action est bonne ; mais était-elle mauvaise celle de Moïse levant les bras sur le champ de bataille, celle du Machabée tenant les yeux fixés au ciel en même temps qu’il frappait de son épée la tête de ses ennemis ? La prière pacifique est bonne ; mais était-elle mauvaise celle que faisaient S. Louis et S. Ferdinand en conduisant leurs armées au combat ? Dans les circonstances dont nous parlons, le devoir d’un bon chrétien ne se réduit pas à prier, il faut encore agir : demander à Dieu sa lumière, sans laquelle tout talent n’est qu’obscurité, son secours, sans lequel tout pouvoir n’est qu’une fumée, c’est bien. Mais il faut en outre employer le bras, la bourse, la parole, la plume et tous les autres moyens qui sont en notre pouvoir.

Enfin, à celui qui comprend si mal la prière je demanderais : qu’allez-vous solliciter de Dieu? Qu’il sauve votre patrie? — Bien! Mais par quels moyens? — Oh! Dieu le sait. — Sans doute ; mais vous n’ignorez pas non plus que ces moyens doivent être ou surnaturels ou naturels? Voulez-vous que Dieu emploie les premiers, qu’il fasse des miracles, qu’il envoie des légions d’anges ? Cela n’est pas prier, c’est tenter Dieu. — Demandez-vous que Dieu se serve des moyens naturels et ordinaires, qu’il emploie les hommes ? Mais alors, pourquoi ne vous offrez-vous pas à être l’un de ces instruments de Dieu? Comment osez-vous vous agenouiller pour dire : Seigneur, je ne veux rien faire, mais je vous demande que vous fassiez tout vous-même ou que d’autres le fassent ? Quand vous demandez une chose à Dieu, vous témoignez qu’elle est bonne et que vous en avez besoin ; si elle est bonne et nécessaire, pourquoi n’y coopérez-vous pas?

Reconnaissez-vous maintenant combien est erronée la maxime que le bon chrétien n’a qu’un devoir, celui de prier? Comprenez-vous que les guerres justes et nécessaires ne peuvent être condamnées au nom de la prière?

C’est ainsi que l’Église, par ses pontifes et ses conciles, a approuvé et béni beaucoup de guerres justes de toute espèce ; que les docteurs chrétiens dans leurs livres en expliquent la légitimité, que sur les autels on voit un certain nombre de guerriers, et que, dans l’office de l’un d’eux qui était roi, les guerres qu’il a faites sont qualifiées de pieuses : bella gesturus pia pia Ferdinandus.

Comment pourrait-on enseigner autre chose, quand tous les philosophes affirment que la guerre juste est de droit naturel ? De même qu’un juge peut punir un coupable, que tout individu a naturellement le droit de défendre sa vie et ses biens injustement attaqués, et d’exiger réparation des injures et préjudices qu’on lui a causés, en faisant appel à la force, de même peut agir l’État, qui n’est autre chose qu’une réunion d’hommes, et n’ayant pas de tribunal supérieur à qui demander justice, il ne lui reste d’autre moyen que de se la rendre à lui-même par la force. Cette raison fondamentale est également applicable aux guerres civiles comme aux guerres étrangères.

En effet, de quel moyen autre que les armes dispose donc le parti national qui représente et possède la légitimité, le droit et le drapeau du bien, pour l’emporter sur les rebelles qui d’en bas conspirent pour le renverser, ou bien d’en haut soutiennent l’usurpation et le mal par l’oppression et la tyrannie? À quel autre tribunal pourra-t-il en appeler pour demander justice ? Sera-t-on obligé par hasard, pour ne pas verser le sang, de livrer le pouvoir avec toute son immense influence à une faction quelconque de criminels en armes qui le réclament tumultueusement pour le mettre au service de la perversité? Et si ces mêmes criminels, par surprise, par violence, par fraudes et trahisons, sont parvenus à s’appeler gouvernement et emploient les forces nationales à ruiner la nation, et l’argent des bons à les exterminer et à corrompre leurs fils, on n’aura pas le droit de défendre le bien contre ceux qui par un abus de la force ont fait régner le mal ? Autant vaudrait dire que nous ne pouvons exiger d’un voleur de nous rendre notre argent, dès l’instant qu’il l’a mis dans sa poche.

Ceux qui affirment si aveuglément et si inconsidérément l’illégalité de toutes les guerres pensent assurément que leur doctrine de paix va diminuer l’intensité du grand fléau des nations. C’est une grave erreur! Cette théorie, une fois acceptée, rendrait impossibles les guerres justes et inspirées par l’amour du droit, et multiplierait les guerres iniques provoquées par l’aveugle ambition, la sordide cupidité et la soif du pouvoir ; elle désarmerait les honnêtes gens, et enhardirait par là même, en leur laissant le champ libre, les impies et les malfaiteurs. Le mieux sera de dire toujours la vérité, et la vérité est qu’il peut y avoir des guerres licites et justes.



-Chanoine Joaquín Torres Asensio, Le droit des catholiques de se défendre. Editions de la Vérité. 2020. P. 6-10.

lundi 18 novembre 2019

Qu'est-ce que le libéralisme?

Dans l'étude quelconque d'un objet, après la question de son existence, an sit ? les anciens scolastiques posaient celle de sa nature, quid sit ? C'est cette dernière qui va nous occuper dans le présent chapitre.

Qu'est-ce que le libéralisme ? 

Dans l'ordre des idées, c'est un ensemble d'idées fausses, et, dans l'ordre des faits, c'est un ensemble de faits criminels, conséquences pratiques de ces idées.

Dans l'ordre des idées, le libéralisme est l'ensemble de ce que l'on appelle principes libéraux, avec les conséquences qui en découlent logiquement. Les principes libéraux sont : la souveraineté absolue de l'individu, dans une entière indépendance de Dieu et de Son autorité ; la souveraineté absolue de la société, dans une entière indépendance de ce qui ne procède pas d'elle-même ; la souveraineté nationale, c'est-à-dire le droit reconnu au peuple de faire des lois et de se gouverner, dans l'indépendance absolue de tout autre critérium que celui de sa propre volonté exprimée d'abord par le suffrage et ensuite par la majorité parlementaire ; la liberté de penser sans aucun frein, ni en politique, ni en morale, ni en religion ; la liberté de la presse, absolue ou insuffisamment limitée, et la liberté d'association tout aussi étendue.

Tels sont les principes libéraux dans leur radicalisme le plus cru.
Leur fond commun est le rationalisme individuel, le rationalisme politique et le rationalisme social, d'où découlent et dérivent : la liberté des cultes, plus ou moins restreinte ; la suprématie de l'Etat dans ses rapports avec l'Église ; l'enseignement laïque ou indépendant, n'ayant aucun lien avec la religion ; le mariage légitimé et sanctionné par l'intervention unique de l'Etat. Son dernier mot, celui qui en est le résumé et la synthèse, c'est la sécularisation, c'est-à-dire la non- intervention de la religion dans les actes de la vie publique, quels qu'ils soient, véritable athéisme social qui est la dernière conséquence du libéralisme.

Dans l'ordre des faits le libéralisme est la réunion d'œuvres inspirées et réglées par ces principes ; telles que les lois de désamortisation, l'expulsion des ordres religieux, les attentats de toute nature officiels et extra-officiels contre la liberté de l'Eglise ; la corruption et l'erreur publiquement autorisées, soit à la tribune, soit dans la presse, soit dans les divertissements et dans les mœurs ; la guerre systématique au catholicisme et à tout ce qui est taxé de cléricalisme, de théocratie, d'ultramontanisme, etc.

Il est impossible d'énumérer et de classer les faits qui constituent l'action pratique libérale, car il faudrait y comprendre depuis les actes du ministre et du diplomate qui intriguent et légifèrent, jusqu'à ceux du démagogue, qui pérore dans un club ou assassine dans la rue ; depuis le traité international ou la guerre inique qui dépouille le pape de sa royauté temporelle, jusqu'à la main cupide qui vole la dot de la religieuse ou s'empare de la lampe du sanctuaire ; depuis le livre soi-disant très profond et très érudit du prétendu savant imposé à l'enseignement par l'Université, jusqu'à la vile caricature qui réjouit les polissons dans une taverne. Le libéralisme pratique est un monde complet : il a ses maximes, ses modes, ses arts, sa littérature, sa diplomatie, ses lois, ses machinations et ses guets-apens. C'est le monde de Lucifer, déguisé de nos jours sous le nom de Libéralisme, en opposition radicale et en guerre ouverte avec la société des enfants de Dieu qui est l'Église de Jésus-Christ.

Tel est le libéralisme au point de vue de la doctrine et de la pratique.


-Don Félix Sarda y Salvany, Le libéralisme est un péché. Editions de la nouvelle aurore. Paris. 1975. P. 5-7.

dimanche 10 novembre 2019

Discussion sur l'infaillibilité du souverain pontife

I - DÉFINITION DE L'INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE.

Le Laïque. - Je serais bien aise, M. le Théologien, d'obtenir de vous quelques éclaircissements au sujet de l'infaillibilité pontificale dont on fait tant de bruit aujourd'hui. J'ai lu des journaux plus ou moins mauvais, et cette lecture a jeté quelques doutes dans mon esprit: dissipez-les; vous parlez à un homme qui n'a fait que de légères études, et qui n'est ni théologien ni philosophe.

Le Théologien. - Je comprends votre pensée. Je vais m'efforcer, soyez-en sûr, de vous tenir un langage simple et précis. Je me conformerai ainsi à votre désir, ne voulant pas d'ailleurs m'étendre dans de longues explications, à moins que vous ne m'en fassiez la demande.

Le Laïque. - Eh bien, commençons. Dites-moi d'abord ce qu'il faut entendre par infaillibilité pontificale.

Le Théologien. - L'infaillibilité pontificale est un privilège accordé par Jésus-Christ au Souverain Pontife. En vertu de ce privilège, le chef de l'Eglise, parlant ex cathedra, même en dehors de l’Épiscopat, ne peut errer dans son enseignement en matière de foi et de morale.

Le Laïque. - C'est précisément ainsi que je comprends l'infaillibilité. Mais comme je travaille à m'en faire une idée claire, expliquez-moi le sens de chacune de vos phrases; et d'abord, que veut-on dire par parler ex cathedra?

Le Théologien. - Le mot chaire, cathedra, représente le magistère ou pouvoir d'enseigner avec autorité. Lors donc que le Vicaire de Jésus-Christ parle ex cathdra, il s'exprime comme maître et docteur de l'Eglise universelle. Il faut distinguer dans le Pape deux personnes tout à fait distinctes : la personne privée et la personne publique. L'infaillibilité lui est conférée en tant qu'il est homme public, c'est-à-dire en tant qu'il exerce les fonctions de Pape, en instruisant les peuples dans la foi et les conduisant comme souverain pasteur dans les pâturages de la vérité et les sentiers du salut.

Le Laïque, - Comment peut-on avoir si le Pape parle comme homme public, et non comme homme privé?

Le Théologien. - Je vous dirai à mon tour : A quelles marques reconnaissez-vous qu'un roi, par exemple, parle à ses sujets comme souverain et non comme simple particulier? Par la solennité de l'acte. S'il sanctionne une loi ou pot-te un décret, s'il édicte telle ou telle peine, vous comprenez immédiatement qu'il parle en souverain. Faites l'application. Lorsque le Souverain Pontife s'exprime par des bulles, des décrets, des lettres, des constitutions apostoliques; quand il ad reste une allocution aux cardinaux réunis en consistoire, les expressions dont il se sert, prouvent qu'il parle ex officio, en vertu de son autorité suprême. Il est évident qu'il agit alors comme homme public, c'est-à-dire comme Pape. Il en serait autrement si, par exemple, il écrivait une lettre de félicitations, composait un traité de théologie ou exprimait purement et simplement sa manière de voir sur un point quelconque. Dans ces cas, il parlerait comme homme privé, comme un simple docteur. Il agirait comme un prince qui s'entretient avec ses amis ou livre à la publicité un traité de philosophie ou de droit civil.

Le Laïque. - Je comprends le mot ex cathedra, Maintenant dites-moi ce qu'il faut entendre par ces autres paroles : en matière de foi et de morale.

Le Théologien. - Ces mots signifient que le Pape est infaillible dans tout ce qui concerne la foi, comme la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception de Marie, et dans tout ce qui a rapport à la morale, comme la condamnation portée contre le duel et les sociétés secrètes.

Le Laïque. - En résumé, le Pape est infaillible, lorsqu'il définit que telle ou telle vérité est article de foi, que telle ou telle action est péché mortel.

Le Théologien. - N'admettre l'infaillibilité que dans ces cas, ce serait par trop en restreindre le domaine. Quand le Pape canonise un saint ou qu'il approuve la règle d'un ordre religieux, dites-moi, peut-il alors se tromper?

Le Laïque. - Je ne le pense pas.

Le Théologien. - Sans doute; car s'il se trompait, il en résulterait cette absurdité que les fidèles seraient tenus d'honorer comme ami de Dieu celui qui en serait peut-être éternellement l'ennemi, et de croire excellente une manière de vivre peut-être vicieuse et digne de réprobation.

Le Laïque. - En quoi donc le Pape est-il infaillible?

Le Théologien. - Le Pape est infaillible dans tout ce qui est du domaine du dogme et de la morale ; c'est-à-dire dans la définition de tout ce que les fidèles doivent croire et pratiquer, pour parvenir au salut éternel. Voilà ce qu'on entend par matière de foi et de mœurs. En cela, le Souverain Pontife jouit de la même infaillibilité que l'Eglise elle-même, dont il est le guide et le docteur. Dans d'autres circonstances purement particulières, et sans aucun rapport soit avec la foi soit avec la morale chrétienne (par exemple, une sentence judiciaire, une application spéciale de discipline ecclésiastique), le Pape peut se tromper et payer, comme un autre fils d'Adam, son tribut à la faiblesse humaine.

Le Laïque. - Si le Pape peut se tromper, il s'en suit qu'il peut pécher. L'infaillibilité ne le rend donc pas impeccable?

Le Théologien. - Des hommes mal intentionnés, poussés par le désir de jeter malicieusement le trouble dans l'esprit des simples, ont confondu à dessein l'infaillibilité avec l'impeccabilité, confusion dont la bizarrerie est facile à reconnaître. L'infaillibilité, avons-nous dit, suppose dans le Pape l'exemption de toute erreur dans les prescriptions qu'il adresse aux fidèles sur ce qu'ils doivent croire et pratiquer, pour arriver à la vie éternelle. Pourquoi dès lors parler ici de l'impeccabilité, qui concerne uniquement les actes personnels du pontife et ne regarde nullement ceux des fidèles. Le Pape, comme homme, a son libre arbitre, et peut, par conséquent, dans ses actions s'écarter de la loi divine ou s'y conformer. Mais, qu'il soit en état de grâce ou en état de péché, il ne peut se tromper lorsqu'il parle aux fidèles, en la qualité de chef et de docteur universel. Cette inerrance n'a pas pou~ cause l'excellence de son esprit et la bonté de son cœur, mais uniquement l'assistance divine, qui ne permet pas que le Souverain Pontife tombe en pareil cas dans une erreur quelconque.

Le Laïque. - Comment peut-on concilier l'assistance divine avec l'état de péché?

Le Théologien. - La chose est très-facile. Cette assistance divine est bien différente de la grâce sanctifiante, qui est inconciliable avec le péché et que le péché fait perdre. Suivant l'expression théologique, elle est une grâce, gratis data, un don fait gratuitement par Dieu, non pas précisément pour le bien du Vicaire de Jésus-Christ, mais pour celui de l'Eglise, et qui, encore une fois, n'est attaché qu'à l'exercice de l'autorité pontificale. Donnons un exemple pour plus de clarté. Un simple prêtre peut être un grand pécheur, et cependant, lorsqu'il célèbre le saint sacrifice de la messe et qu'il prononce les paroles de la consécration, il change le pain et le vin au corps et au sang de Notre-Seigneur. Pourquoi cela? Parce que le pouvoir de consacrer lui a été accordé par la réception du sacrement. de J'Ordre, et sa sainteté personnelle n'y est absolument pour rien. Il en est de même, proportion gardée, dans le cas dont il s'agit ici. Quelles que soient les qualités personnelles du Pape, quand il exerce ses fonctions comme chef suprême de l'Eglise, Dieu intervient pour le préserver de l'erreur, comme il intervient pour opérer la transsubstantiation par les paroles sacramentelles.

Le Laïque. - Au moins devrons-nous dire que le Pape, comme homme privé, ne peut pas se tromper en matière de foi. Autrement, s'il pense mal, comment peut-il enseigner bien?

Le Théologien. - Nous en sommes toujours à ne pas bien saisir la cause de l'infaillibilité de l'enseignement pontifical. Vous supposez que dans le Pontife cette inerrance est l'effet de sa manière juste de penser, et non de l'assistance surnaturelle de Dieu. D'après de graves théologiens, Dieu ne saurait permettre que le Pape, même comme homme privé, devienne hérétique. C'est une pieuse croyance, et j'avoue qu'elle est la mienne. Elle n'est pas nécessaire du reste dans la question qui nous occupe. Il pourrait arriver qu'un Pape eût dans son for intérieur des idées fausses en matière de foi; mais quand il s'adresse aux fidèles, il ne peut pas ne pas s'exprimer d'une manière conforme à l'orthodoxie, Cette manière de parler ne provient pas de sa manière judicieuse de penser, mais uniquement de l'Esprit-Saint qui le dirige. Revenons à l'exemple du simple prêtre. Quand il a l'approbation de son Évêque, vous pouvez être certain d'être en état de grâce, si, après une bonne confession de vos péchés, vous en recevez l'absolution. Et cependant ce même prêtre pourrait lui-même ne pas être en état de grâce. La grâce que vous recevez, n'est pas l'effet de celle du confesseur, mais de la vertu divine qui vous la confère par le moyen de l'absolution sacramentelle. Il en est absolument de même ici. L'exclusion de l'erreur dans l'enseignement pontifical est l'effet de l'assistance divine, et non de la droiture d'esprit du Pontife. Rappelez-vous ce passage de l'Evangile, où S. Jean fait mention du conseil tenu par les Pharisiens, pour délibérer au sujet de Jésus-Christ. Caïphe se lève au milieu d'eux et propose de le mettre à mort par cette sentence qu'il prononce : " Il est avantageux qu'un homme périsse seul pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas. " L’Évangéliste ajoute : « Caïphe ne prononça pas ces paroles d'après sa propre inspiration; il était Pontife cette année-là; il prophétisa que Jésus mourrait pour le salut du peuple (1). " Voyez donc : le grand-prêtre n'était pas seulement un pécheur, mais il péchait encore en cette occasion. De plus, Caïphe avait l'esprit rempli d'erreurs sur la personne du Christ; et néanmoins, parce qu'il était Pontife, l'Esprit-Saint lui inspira des paroles prophétiques, et il prononça contre le Christ une sentence véridique. Il en est de même ici. Qu'un Pape ait des pensées erronées, Dieu, encore une fois, ne permettrait jamais que, s'adressant à l'Eglise, il prononçât une parole contraire à l'orthodoxie.

Le Laïque. - Caïphe ne comprenait pas le sens de ses paroles, lorsqu'il disait vrai, tout en voulant dire le contraire. Mais le Pape, en parlant, comprend ce qu'il dit, et ses expressions sont en parfait accord avec sa volonté; il n'agit donc pas comme un automate, mais comme un homme raisonnable.

Le Théologien. - Peu importe; la cause, c'est-à-dire l'intervention divine, n'en est pas moins la même. Lorsque le Pontife juif parla, Dieu intervint, et fit dire à Caïphe tout le contraire de sa pensée. Le Pontife Romain a-t-il à parler, Dieu intervient, et lui fait dire exactement ce qu'il doit dire; il l'empêche de tomber dans l'erreur, soit par inadvertance soit par malice. Dieu est aussi puissant que fidèle. Si le Vicaire de Jésus-Christ, appuyé sur les promesses qui lui ont été faites, soutient l'Eglise par son enseignement, ces promesses, croyez-le, recevront toujours leur entier accomplissement.



Infaillibilité pontificale - Dialogue entre un catholique laïque & un théologien romain. Librairie Adrien Le Clere et cie. 1870. Paris. P. 5-11.

mercredi 9 octobre 2019

Courte anecdote sur le frère André et Maurice Duplessis

L'avocat Saint-Georges Morissette est très préjugé contre Duplessis. Mais il appartient à une famille très religieuse, qui entretient une reconnaissance personnelle envers le Frère André. Saint-Georges Morissette se charge, une fois par mois, de conduire le Frère André en automobile auprès de ses malades. Le Frère André lui parle de Maurice Duplessis, qu'il connaît bien, et qui remplacerait avantageusement M. Taschereau. Morissette répond en répétant tout ce qu'on peut dire contre Duplessis dans les cercles libéraux. Le Frère André, sans ajouter mot, baisse la tête. Mais à l'entrevue suivante, il revient sur l'opportunité de mettre Maurice Duplessis au pouvoir. Le jeu de scène se reproduit. Une troisième fois, le Frère André parle de Duplessis. Son compagnon provoque, cette fois, des commentaires, et le religieux fait l'éloge circonstancié de l'ancien élève du collège Notre-Dame. Morissette en est frappé. Quand un ami lui propose un rendez-vous avec Duplessis, il accepte - et l'entrevue achève sa conversion.


-Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, tome premier. Editions Fides. P. 193-194.

lundi 15 juillet 2019

Un pape caché depuis 50 ans?

Paul VI/Montini portant l'éphod du grand prêtre
d’Israël.
Nous partageons cet article de 2015 de M. l'abbé Belmont, à propos d'une théorie plutôt farfelue, teintée d'apparitionisme. Bonne lecture! -Tradition Québec

De façon récurrente, le retour de Paul VI est annoncé, qui va restaurer l’ordre dans l’Église catholique, remettre en honneur la liturgie, dénoncer l’hérésie et chasser les hérétiques, etc. Cela est possible, et même certain, parce que Paul VI n’est pas mort : un ignominieux complot l’a remplacé par un sosie tenant son rôle pendant quelques années, lequel sosie est mort et a été inhumé en août 1978 en lieu et place de Jean-Baptiste Montini. Telle est la solution et l’explication de la crise mystérieuse qui s’est abattue sur l’Église catholique depuis quelques décennies.
Depuis quarante ans nous avons les oreilles rebattues par cette annonce merveilleuse qui ne s’accomplit jamais (mais ce n’est que partie remise, pour des raisons de haute mystique), par cette clef secrète de l’histoire contemporaine fondée sur des preuves péremptoires qui prouveront plus tard : Vous verrez bien… ! La première fois, cela amuse… mais au bout de la vingtième voire trentième fois, il faut bien avouer qu’on se trouve en présence d’une étrange maladie.

Il convient de se pencher un instant sur elle, parce que le plus souvent elle s’empare de gens de bonne volonté et de réelle piété : elle n’en est pas moins néfaste, surtout si l’on se fonde sur elle pour assurer la persévérance dans la vie chrétienne voire l’intégrité de la foi catholique.
Trois qualificatifs me semblent bien situer notre affaire : invraisemblable, inutile, malsain.

Invraisemblable


Jean-Baptiste Montini est né le 26 septembre 1897. Il aurait donc 118 ans [NDLR : 121 ans en date d'aujourd'hui] et serait le plus âgé des hommes vivant sur notre terre. Cela n’est pas strictement impossible, mais hautement invraisemblable, surtout si l’on imagine qu’il va rétablir la foi, la liturgie et l’ordre dans l’Église, chantier herculéen…

Je puis apporter aussi un témoignage direct de première valeur. Le 11 septembre 1976, Mgr Marcel Lefebvre a été reçu en audience par Paul VI à Castelgandolfo. À son retour, dans une conférence donnée aux séminaristes, il fut on ne peut plus clair : J’ai très bien connu Mgr Montini auquel j’avais directement affaire lorsque j’étais délégué pontifical pour l’Afrique francophone ; j’ai très bien connu Paul VI à Rome, lorsque j’étais supérieur général des Spiritains (la plus nombreuse des congrégations missionnaires) ; je peux vous affirmer que c’est bien lui que j’ai rencontré ces derniers jours, et non pas un sosie.

Inutile

Ceux qui tiennent pour le « sosie » le font apparaître en 1972 ou 1975, de façon permanente ou intermittente… mais quoi qu’il en soit, à ces dates tout le mal est fait : Vatican II a semé l’erreur et la révolution dans les structures de l’Église, la réforme liturgique a balayé tout l’ordre sacramentel, la vie chrétienne (religieuse, sacerdotale, matrimoniale) s’est effondrée dans des proportions inimaginables. C’est d’ailleurs dès l’année de son élection, dès 1963 que Paul VI a entamé ce processus de destruction : par des effets d’annonce tristement efficaces, par la prévision voire la mise en place de structures dissolvantes, par l’adoption du principe d’une liturgie évolutive (et donc, inéluctablement, d’une foi évolutive).

Le « Paul VI survivant » est celui qui a conduit tout cela, qui s’est soustrait à l’autorité pontificale : son supposé retour ne serait donc la solution de rien du tout, ne serait aucunement la restauration de l’autorité pontificale, ne serait pas même la présence d’un sujet publiquement assis sur le siège romain.

Mais si, mais si, parce qu’il s’est converti et que tout le monde le reconnaîtra : sauf vous évidemment, pétri de rationalisme que vous êtes.
— Ah bon ! vous l’avez donc rencontré ? Il vous a dit regretter la révolution qu’il a semée à pleines mains ? Vous êtes assuré qu’on le reconnaîtra universellement comme Pape quarante ans après ? Voyez combien tout cela est de l’ordre de l’imagination !

Malsain


L’Église catholique est le Corps mystique de Jésus-Christ ; elle est une société surnaturelle. L’Église militante – celle à laquelle nous appartenons sur la terre – est surnaturelle dans son essence, tout comme les différents éléments qui entrent dans sa constitution : ses pouvoirs (magistère, sanctification et gouvernement), son autorité, ses sacrements.

Dans la situation présente de la sainte Église, devant la difficulté de professer simultanément toutes les vérités la foi catholique et de la doctrine de l’Église en les confrontant aux faits avérés, la tentation peut être grande de « botter en touche », et de trouver un refuge inconscient dans la fuite, remplaçant l’adhésion théologale à l’Église dans son état réel (visible et provisoirement permanent) par un univers imaginaire qui ne réclame rien d’autre que de l’imagination. Mais pour la mise en œuvre et le rayonnement de la foi, il y a là une réduction qu’on ne peut s’empêcher de trouver malsaine et grosse de bien des périls.

Photographie prise le 10 Avril 1970 au Vatican. Six protestants, de gauche à droite : 
Dr. George, Canon Jasper, Dr. Shephard, Dr. Konneth, Dr. Smith, et 
Frère Max Thurian (en blanc), juste à côté de mgr Montini/Paul VI (en blanc)
Le juste vit de la foi : il en vit en tout temps, et non pas seulement quand tout est en ordre ; il en vit plus encore dans les temps d’épreuve, dans les combats de l’agonie, quand règne l’insolence des hommes ennemis de Jésus-Christ.

Mais… ce n’est pas contraire à la foi catholique !

— Non, certes : croire à la survie et au retour prochain de Paul VI ne s’oppose à aucune vérité de la foi et ne nie aucun fait dogmatique (il en serait tout autrement si un vrai Pape régnait à Rome) : ceux qui adhèrent à une telle croyance ne sont pas pour cela indignes des sacrements ; il y aurait une grande injustice à les leur refuser.

Mais tout ce qui n’est pas opposé à la foi n’en est pas vrai pour autant : affirmer que deux et deux font trois par exemple.
Il y a en outre un véritable danger pour la foi de se mouvoir dans un univers irrationnel et de justifier une attitude ecclésiale présente par une conjecture qui porte sur l’avenir. Il y a même double danger :

– La foi est donnée à notre intelligence, et ne peut prétendre se passer des lois de la raison : elle se priverait de l’irremplaçable instrument qui contribue à la conserver et permet de l’exercer sainement (c’est une des caractéristiques du modernisme) ;

– la foi est fondée sur la Révélation publique et sur la prédication des Apôtre, closes ensemble à la mort de saint Jean l’Évangéliste. Même si une partie de l’objet de la foi concerne l’avenir (les fins dernières, la pérennité de l’Église), elle se réfère fondamentalement au passé.


C’est la conscience pressante de ce double danger qui pousse à avertir ceux qui seraient tentés de se laisser séduire…


-Abbé Hervé Belmont. Source Quicumque.

jeudi 4 juillet 2019

L'homme doit se conduire par la raison

Nous vous partageons un extrait d'une prochaine réédition des Editions de la Vérité, Le juste milieu de la pénitence, par dom Léonce Crenier (ancien prieur de Saint-Benoît-du-Lac).


On voit la place de l'homme : au-dessus des bêtes et au-dessous des anges.

Cette simple constatation philosophique est d'une immense importance, et voici pourquoi :

Par quoi l'homme est-il au-dessus des bêtes? Par la connaissance intellectuelle, par la raison, reflet de l'intelligence divine.

C'est par la raison que l'homme est homme. Sans elle, il serait une bête. Il est animal, comme les bêtes, mais c'est un animal raisonnable; c'est une animalité surélevée par quelque chose de supérieur : l'intelligence.

Si c'est par la raison que l'homme est homme, c'est donc par la raison qu'il agira en homme.

Si c'est la raison qui, dans l'homme, est supérieure au reste, c'est donc elle qui doit commander.

Si l'homme est doué de ce principe supérieur d'action : l'intelligence, il n'a donc pas le droit de vivre comme les bêtes.

La bête est conduite par sa sensibilité, autrement dit par ses impressions. Pour elle, cela est normal.

Tel objet attire la bête : elle va vers lui. Tel autre objet la repousse : elle s'éloigne.

Mais ce qui est normal pour la bête serait monstrueux pour l'homme.

En suivant les impulsions de la sensibilité, la bête obéit à ce qu'il y a de supérieur en elle. Elle suit la loi que Dieu lui a donnée.

Par contre, l'homme, en suivant les impulsions de sa sensibilité, obéit à ce qui en lui est inférieur, et va contre la loi que Dieu lui a donnée.



-Dom Léonce Crenier, Le juste milieu de la pénitence. Editions de la Vérité. À paraître. P. 48-49.

mercredi 26 juin 2019

La philosophie religieuse des modernistes : l'immanence vitale

§ II. — Immanence vitale.

Suite de la partie I

D.D'après ce que vous vêtiez de dire, « l'agnosticisme n'est que le côté négatif dans la doctrine des modernistes. » Quel en est donc le côté positif?
R. — « Le côté positif est constitué par ce qu'on appelle l'immanence vitale. »

D.Comment les modernistes passent-ils donc de l'agnosticisme à l' immanentisme?
R. — Ils passent de l'un à l'autre en la manière que voici : Naturelle ou surnaturelle, la religion, comme tout autre fait, demande une explication. Or, la théologie naturelle une fois répudiée, tout accès à la révélation fermé par le rejet des motifs de crédibilité, qui plus est, toute l’élévation extérieure entièrement abolie, il est clair que, cette explication, on ne doit pas la chercher hors de l'homme. C'est donc dans l'homme même qu'elle se trouve, et comme la religion est une forme de vie, dans la vie même de l'homme. Voilà l'immanence religieuse. »

D.Je comprends que les modernistes, partisans de l'agnosticisme, ne puissent chercher que dans l'homme et dans la vie même de l'homme l'explication de la religion. Et maintenant, pour expliquer cette immanence vitale, qu'assignent -ils comme premier stimulant et première manifestation de tout phénomène vital, en particulier de la religion?
R. — Tout phénomène vital — et, on l'a dit, telle est la religion — a, pour premier stimulant, une nécessité, un besoin ; pour première manifestation, ce mouvement du cœur appelé sentiment.

D.D'après ces principes, où est le principe de la foi et partant de la religion?
R. — « Il s'ensuit, puisque l'objet de la religion est Dieu, que la foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime, engendré lui-même par le besoin du divin. »

D.Ce besoin du divin est-il du moins, selon les modernistes, du domaine de la conscience?
R. — « Ce besoin, ne se trahissant que dans de certaines rencontres déterminées et favorables, n'appartient pas de soi au domaine de la conscience. »

D.Où gît donc, d'après eux, ce besoin du divin?
R. — « Dans le principe, il gît au-dessous, et selon un vocable emprunté de la philosophie moderne, dans la subconscience, où il faut ajouter que sa racine reste cachée, entière- ment inaccessible à l'esprit.



-Père Jean-Baptiste Lemius, Catéchisme sur le modernisme. 1907. P. 9-10.

mardi 28 mai 2019

La province de Québec n'est pas née en 1960

Chaque génération semble croire que tout a commencé par elle, que le monde est né avec elle. Un changement politique s'étant produit dans la province de Québec en 1960, les nouveaux détenteurs du pouvoir ont stimulé cette tendance, afin de répandre l'impression qu'il ne s'était rien fait qui vaille avant eux.

La tactique s'est d'abord appliquée au chapitre des relations extérieures. Le Canada français ne révélerait son existence aux pays étrangers - à la France, en particulier - que depuis quatre ou cinq ans.

Ce boniment témoigne d'une robuste ignorance de notre histoire. J'ai entendu l'abbé Pierre Gravel le réfuter avec beaucoup d'à-propos et de verve. Je reprends et développe un peu ses arguments.

En 1880, Adolphe Chapleau, premier ministre prestigieux de la province de Québec, établissait des relations économiques avec la France, en commençant par la négociation d'un emprunt français et par l'établissement du Crédit Foncier Franco-Canadien. Des échanges s'organisaient entre les deux pays - et l'on pensait compléter ces mesures par l'établissement d'une ligne de navigation directe et régulière. Une mission française vint faire le tour de notre province - encore très loin de son développement actuel.

Chapleau voyagea en Europe l'année suivante. La société parisienne s'arracha ce Canadien français si bel homme et si éloquent. Le président de la République le reçut, et le nomma commandeur de la Légion d'honneur; le Pape le reçut, et le nomma commandeur de Saint-Grégoire-le-Grand. Un homme d'affaires très entreprenant, Louis-Adélard Sénécal - le Louis Lévesque de son temps, si l'on veut - accompagnait le premier ministre. Des relations commerciales s'ébauchèrent ou se complétèrent ..

Chapleau avait fait la conquête de Paris. Son grand rival Mercier, devenu premier ministre à son tour, renouvela le charme. Lui aussi avait belle allure, et le goût du panache. Son voyage de 1891 laissa une traînée qu'on peut bien dire éblouissante. Sociétés savantes, réunions académiques, cercles littéraires, économiques, agricoles, instituts techniques, cercles catholiques, on l'invitait partout, et il acceptait. Le président de la République le reçut à l'Elysée et le promut commandeur de la Légion d'honneur. Le roi des Belges le reçut à Bruxelles et le fit commandeur de l'ordre de Léopold. Le pape Léon XIII le reçut à Rome et le nomma comte palatin, à titre héréditaire. A Chartres, à Tourouvre, à l'abbaye de Bellefontaine (maison-mère de la Trappe d'Oka), à Cholet, à Caen, les moines, les éleveurs, les gens du monde, tous reçurent Mercier et ses compagnons comme des frères. La visite de Mercier à Tourouvre, berceau de sa famille, est émouvante au point que son récit nous met des larmes aux yeux. Les vitraux donnés par Mercier à l'église de Tourouvre doivent toujours s'y trouver.

Mercier s'était conduit et fait recevoir en chef d'Etat.

Laurier, aussi bien accueilli en France, brilla surtout en Angleterre. Il y fit plusieurs voyages. Un banquet donné par le gouvernement anglais en 1897 sembla bien tourner en une apothéose de "Sir Wilfrid". Dix ans plus tard, à la conférence de 1907, c'est encore Laurier qui joua l'un des tout premiers rôles.

Au congrès eucharistique de Lourdes, tenu à la veille de la guerre de 1914, deux des orateurs les plus acclamés furent Henri Bourassa et Mgr Georges Gauthier, archevêque coadjuteur de Montreal.

Le sénateur Dandurand, qui avait été l'un des lieutenants de Laurier, remporta de très gros succès personnels à la Société des Nations, à Genève. Sa dignité, son érudition et sa belle voix grave faisaient merveille, et le délégué canadien présida l'Assemblée en 1925.

Rodolphe Lemieux, son cadet de quelques années, son collègue au Sénat et membre, comme lui, des grands cercles internationaux, donna des conférences très suivies à la Sorbonne et succéda au cardinal Mercier comme membre de l'Institut de France en 1927.

Edouard Montpetit, si bel homme, si digne de tenue, si brillant orateur, et qui nous a si bien représentés dans de grands congrès internationaux à Oxford, à Gênes, à La Haye, fut à son tour invité à donner des cours sur le Canada en Sorbonne en 1925, puis à Bruxelles en 1928. L'Académie française n'admet pas de membres étrangers. Mais l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, non moins triée sur le volet, élut Montpetit parmi ses membres.

Ce n'est pas en 1965, c'est en 1923 que notre gouvernement fit circuler en France un train-exposition.

Mais j'ai nommé Mgr Gauthier. Le nom de ce prélat appelle à mon souvenir celui du cardinal Villeneuve, légat du Pape à Domrémy en 1939 (pour les fêtes de Jeanne d'Arc) et à Mexico en 1945. Les voyages occasionnés par ces très hautes missions, en France et au Mexique, prirent tournure triomphale.

Joseph-Adolphe Chapleau (1840-1898).
J'aurais dû citer les missions françaises venues dans notre province à l'occasion des congrès de la Langue française en 1912 et en 1937. Et plus encore, peut-être, l'extraordinaire mission venue pour le quatrième centenaire de la découverte du Canada, en 1934. Bon nombre d'entre nous doivent se le rappeler: jamais pareille élite n'avait traversé l'océan.

Les professions, les corps constitués - les médecins, les chambres de commerce et bien d'autres - ont organisé des voyages collectifs et des échanges de visites avec leurs homologues étrangers. Les anciens de l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales ne peuvent pas avoir oublié le splendide accueil de leurs confrères français, qui les reçurent par ces mots, en 1935: "Vous voici chez vous." Au Cercle Interallié, le plus chic de Paris, les deux groupes échangèrent leurs fanions - le fanion bleu et argent des H.E.C. de Paris contre le fanion à feuille d'érable des Montréalais - en signe d'étroite amitié. Une installation radiophonique spéciale permit aux H.E.C. de Montréal, groupés à l'Ecole de la place Viger, d'entendre le message du président de l' Association française, et aux H.E.C. de Paris, réunis dans les jardins du Cercle Interallié, d'entendre les remerciements d'Armand Viau, président de l'Union Canadienne. L'automne suivant, une délégation des H.E.C. de France rendait la visite et participait aux fêtes du vingtième anniversaire de l'Ecole montréalaise.

Notre histoire récente est parsemée de scènes aussi émouvantes. Il me faudrait vingt fois plus de place pour épuiser le sujet. Pour mentionner les succès remportés à l'étranger par des Canadiens français comme la cantatrice Albani ou le savant Frère Marie-Victorin, entre bien d'autres. Wilfrid Pelletier n'a pas attendu 1960 pour devenir chef d'orchestre du Metropolitan Opera de New York. Les "prix d'Europe" datent au moins d'Athanase David. Ni le Collège Canadien à Rome ni la Maison des Etudiants canadiens à Paris ne datent du gouvernement actuel. Et j'ai eu, bien avant 1960, le plaisir de m'arrêter au bureau de propagande de la province de Québec, en plein Rockefeller Centre, à New York.

J'ai rappelé au chapitre précédent l'essor économique pris par la province de Québec au temps du gouvernement Duplessis. Cet essor se poursuit. On répand à tort l'impression d'une accélération considérable. Nous participons à l'élan qui emporte le continent nord-américain et une bonne partie de l'Europe occidentale. Dans un pareil contexte, qui n'avance pas recule. Mais notre taux de participation fléchit. Nos progrès, plus rapides que ceux de nos voisins il y a sept ou huit ans, le sont moins aujourd'hui. Montréal était en voie de surclasser définitivement Toronto. C'est maintenant la capitale ontarienne qui rattrape la métropole québécoise. Le taux de croissance de Toronto (2,000,000 d'âmes) est de 9%; celui de Montréal (2,200,000) de 7%. La différence est encore plus accusée si l'on compare, non plus les deux grandes villes, mais l'ensemble des deux provinces. Toronto rattraperait Montréal d'ores et déjà sans les préparatifs de l'Exposition - à laquelle l'Etat fédéral et par conséquent l'ensemble du pays apportent une sérieuse contribution.

Pour une industrie dont on annonce la prochaine installation dans Québec, trois ou quatre s'établissent en Ontario. Et la grande province voisine n'est pas seule à nous devancer. La Colombie-Britannique enregistre des gains très supérieurs aux nôtres dans à peu près tous les domaines : population, investissements de capitaux, ventes au détail, revenu personnel, taux des salaires. La côte du Pacifique connaît un essor extraordinaire. Un gigantesque développement hydroélectrique est en projet sur la rivière La Paix. Le port de Vancouver rattrape le port de Montréal pour le tonnage manutentionné. Il le dépassera, selon les prévisions, d'ici trois à cinq ans. L' Alberta continue sur sa lancée. La Saskatchewan a répudié les gouvernements socialistes sous lesquels elle végétait et s'efforce, avec succès, d'attirer des industries. Un énorme projet d'exploitation des potasses y est en voie de réalisation. Le premier ministre Ross Thatcher déclare, à l'inauguration d'une nouvelle usine: "Nous voulons créer un climat des plus favorables à l'entreprise privée." Les provinces Maritimes· elles-mêmes, si longtemps léthargiques, atteignent un taux de croissance supérieur au nôtre. La Nouvelle-Ecosse s'industrialise "in a big way". Elle étudie l'utilisation éventuelle des hautes marées de la baie de Fundy - les plus puissantes du monde - pour produire une quantité considérable d'énergie électrique, moins coûteuse que l'énergie produite à l'aide des chutes d'eau. Elle a déjà son usine d'automobiles, la Volvo, qui entame le marché québécois. Une autre usine, près de Sydney, fabriquera des autos de marque japonaise. La Nouvelle-Ecosse construit la première usine d'eau lourde au Canada. Elle a construit la première fabrique de boîtes de conserves en aluminium au Canada, et en construit maintenant une deuxième. Au Nouveau-Brunswick, la Brunswick Mining and Smelting construit un énorme complexe (mines, fonderie, produits chimiques, sidérurgie) à coups de centaines de millions. Un groupe d'usines s'installe à Bathurst et des filiales à Belledune. Ce complexe, destiné à devenir une véritable puissance industrielle, est déjà partiellement en production. Jusqu'à la minuscule Île du Prince-Edouard qui ouvre des chantiers maritimes, tandis que Terre-Neuve inaugure le, grand ensemble de la Wabush Mines (235 millions), puis équipe les chutes de Hamilton.

Le ministre (fédéral) des Finances a donné des statistiques relatives à l'ensemble des provinces atlantiques, à la Chambre des communes, le 7 juin. Les investissements de fonds ont augmenté de 14 pour cent en 1964, et ce progrès est partagé par tous les secteurs de l'économie; la production minérale a, augmenté de 33 pour cent, la production de pâte à papier a réalisé une nouvelle avance de 29 pour cent, les expéditions de minerai de fer de 30 pour cent. Le chômage a diminué de 16 pour cent.

Le frère Marie-Victorin (1885-1944).
La vérité est que nous suivons le mouvement, à la queue. Il nous reste les fâcheux records que nous avons déjà énumérés, et quelques autres aussi peu flatteurs, comme le record du chômage (taux relevés par le Bureau fédéral de la Statistique en mai 1965 : 5.2 dans Québec; 3.1 en Ontario), le record des grèves, le record des faillites, le record des accidents d'automobiles, le record des taxes et le record des dettes.

Il ne s'agit pas de discréditer les efforts qui s'accomplissent aussi dans Québec. Mais on cherche à nous tromper en nous laissant croire qu'ils sont uniques au Canada et dans le monde, qu'ils n'ont pas eu de prédécesseurs et qu'ils n'ont pas d'équivalents contemporains.

Ne nous racontez pas que la province de Québec, en 1960, est sortie du néant - ou des "ténèbres du Moyen-Age'' comme aurait dit feu T.-D. Bouchard - pour entrer d'un bond dans l'ère des relations interplanétaires.

[NDLR : T-D Bouchard, surnommé le diable de Saint-Hyacinthe, fut maire puis député de cette ville. Successivement chef de l'opposition officielle (parti libéral), ministre, président d'Hydro-Québec (démis de ses fonctions par la suite car trop gênant pour le gouvernement Godbout) puis sénateur. Ouvertement franc-maçon et anti-clérical, c'est en partie à son instigation que nous devons la loi sur l'instruction obligatoire au Québec, première étape d'une mainmise du gouvernement sur la jeunesse, ainsi que de la déchristianisation du Québec.]



-Robert Rumilly, Quel monde ! Editions Actualité. 1965. Montréal. P. 80-85.

mardi 14 mai 2019

La tactique des gauchiste démasquée


La tactique des gauchistes démasquée, cahier n.2 de Robert Rumilly (suite de L'infiltration gauchiste au Canada français), sera disponible dès le 17 juin 2019. Pré commandez votre copie dès aujourd'hui en visitant notre page Etsy. Les commandes passées seront donc honorées à partir du lundi 17 juin 2019.


Titre : La tactique des gauchistes démasquée.
Auteur : Robert Rumilly.
Éditeur : Les Éditions de la Vérité
Langue : français.
Taille : 10.79 x 17.46 cm.
Pages : 84.
Couverture : souple.
Date de publication : 17 juin 2019.
Prix : 12,15 $ (livraison gratuite).


Pour l'occasion, des copies du cahier n.1 L'infiltration gauchiste au Canada français seront aussi disponibles dès le 17 juin 2019. Pour en pré commander une copie, cliquez ici.

samedi 11 mai 2019

Marxisme et christianisme

Nous ne pouvons terminer cette étude sans traiter d'un problème sans cesse agité à l'heure actuelle. Comment situer réciproquement marxisme et christianisme? En particulier, un chrétien peut-il collaborer avec les marxistes dans sa lutte politico-sociale ?

Nous avons déjà indiqué que l'athéisme n'était absolument pas une pièce rapportée ou un élément adventice dans le marxisme, mais bien une des idées maîtresses, voire l'inspiration foncière du système. La chose est dite en termes fort nets par les interprètes les plus officiels de la pensée marxiste, tel A. Cornu. On peut même dire que, bien loin que la critique marxiste de la religion ne soit qu'un corollaire de la critique du libéralisme économique contenue dans Le Capital (comme le croient sottement trop de chrétiens de notre pays), c'est rigoureusement l'inverse qui est vrai : Le schéma de l'aliénation, dont l'essentiel est dû à Feuerbach et qui s'applique aux rapports entre l'homme et Dieu, est appliqué par Marx à la société capitaliste.

Nous parlions du présent problème, voici quelque temps, avec une haute personnalité romaine. Celle-ci nous déclara : « Je n'arrive pas à comprendre l'attitude de certains catholiques français, qui essaient perpétuellement de maintenir le contact avec le communisme. L'opposition totale est pourtant trop manifeste, et ceci à trois échelons : les doctrines sont entièrement antagonistes et inconciliables l'une avec l'autre. L'Eglise est intervenue à de multiples reprises pour dire ce qu'il fallait en penser, ce qui, pour un chrétien catholique devrait trancher le débat. Enfin, il y a l'épreuve des faits partout où le communisme est au pouvoir, il s'acharne à détruire la religion chrétienne ».

Ces paroles autorisées nous donnent un plan tout tracé:

1. Caractère intrinsèquement inconciliable des doctrines

Elles s'opposent en effet en ce qui concerne l'idée qu'elles se font de la réalité dans leur hiérarchie des biens et des maux : dans le but qu'elles s'assignent ; et, enfin, dans le choix des moyens.

a) Pour le chrétien (et, en général, pour le spiritualiste et l'homme religieux monothéiste) le monde matériel existe certainement : il est l'oeuvre de Dieu, et nous ne devons ni le mépriser, ni le négliger. Mais la réalité suprême, c'est Dieu et le monde spirituel beaucoup plus riche et dense que l'univers matériel. Le moindre acte de foi proclame cela et les saints en font le centre de leur vie. Pour le marxiste, seule la matière existe, la pensée n'en est qu'un effet, et tout ce qui concerne le monde spirituel est pure fantasmagorie, mystification néfaste qu'il faut extirper.

b) Pour le chrétien, le mal suprême, la seule aliénation intégrale, c'est le péché, la faute morale. Comparativement à cela, le reste est secondaire. Pour le marxiste, la notion de péché est mystifiante et irrationnelle, le mal suprême c'est la souffrance qui résulte de l'oppression sociale.

c) Pour le chrétien, il ne faut certes pas se désintéresser de la vie des hommes ici-bas, et il faut combattre l'injustice, mais enfin notre demeure ultime est aux cieux et notre espérance porte sur le Royaume de Dieu, non sur la technique et la rationalisation des moyens de production. Pour le marxiste, « notre paradis, c'est sur terre que nous le ferons » (Maurice Thorez, reprenant un mot
de Marx), le reste est chimère haïssable.

d) Pour le chrétien, il y a des moyens d'action qui sont intrinsèquement illégitimes, qu'il ne faudra jamais employer, quel qu'en puisse être le bon effet temporel (puisque le péché est le plus grand des maux). Pour le marxiste, est bon ce qui sert la cause de la révolution, est mauvais ce qui s'y oppose (38), de sorte que c'est merveille de voir les bonnes âmes s'étonner lorsque le communisme utilise des procédés tels que le mensonge, la calomnie pour déconsidérer un adversaire, les procès préfabriqués, la liquidation physique des individus ou des groupes, etc. Dans son optique, il aurait bien tort de se paralyser par un scrupulisme petit-bourgeois, puisqu'il s'agit de rendre en définitive l'homme heureux (39).

Comment dès lors un chrétien pourrait-il collaborer, même sur le plan purement pratique avec le Parti communiste? On n'arrive même pas, logiquement parlant, à comprendre comment certains ont pu le croire et persévérer encore actuellement dans cette voie (ce qui prouve que certains esprits sont capables de refuser même les évidences).

2. Condamnation formelle du communisme par l'Eglise

Ce paragraphe s'adresse essentiellement aux catholiques, mais un incroyant honnête pourra au moins comprendre pourquoi l'accord est impossible.

Pie XI (1922-1939) : « Le communisme est
intrinsèquement pervers ».
Les textes sont nombreux. Nous ne rappellerons que trois documents particulièrement caractéristiques : d'abord, l'encyclique Divini Redemptoris de Pie XI (1937) (40) qui est particulièrement sévère (« Le communisme se montre sauvage et inhumain à un degré qu'on a peine à croire, et qui tient du prodige... Le communisme est intrinsèquement pervers et l'on ne peut admettre sur aucun terrain de collaboration avec lui, de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne. Si quelques-uns, induits en erreur, coopéraient à la victoire du communisme dans leur pays, ils tomberaient les premiers, victimes de leurs égarements »).

Sur le plan pratique, le Saint-Office, dans un décret du 1er juillet 1949, porte des sanctions canoniques contre ceux qui collaboreraient avec le communisme. Une autre décision du Saint-Office est intervenue le 14 avril 1959 [NDLR : Sous Jean XXIII/Roncalli], toujours dans le même sens.

Ajoutons enfin les nombreuses condamnations de publications et de groupes progressistes par Rome, qu'il s'agisse des pays libres (« jeunesse de l'Eglise», « quinzaine », etc.) (41) ou des pays de démocratie populaire (Pologne principalement). On voit mal comment un catholique peut passer outre, en sécurité de conscience, à de telles barrières.

3. Persécutions antireligieuses

Il semble que beaucoup, sur ce point, ne soient pas au courant, ou plutôt s'évertuent à ne pas savoir. On ressasse toujours, en milieu progressiste, la formule communiste : « Nous ne voulons pas faire de martyrs », mais on la prend à contresens : elle signifie seulement qu'il ne faut pas molester ou tuer les prêtres ou les laïcs catholiques pour motif avoué d'ordre doctrinal, mais elle n'interdit pas, elle conseille même, de les disqualifier et de les liquider sous des prétextes politiques (sabotage de la réforme agraire, "activités fascistes", etc.), ce qui est toujours possible avec un parti tout-puissant
et une police omniprésente, là où le communisme est au pouvoir. Car après la prise du pouvoir, il faut liquider la religion.

En Russie, ce fut pendant des années une persécution sanglante qui coûta la vie à d'innombrables chrétiens, orthodoxes et autres. Si, sous Staline, il y eut la mise sur pied d'un « modus vivendi », il ne faut pas perdre de vue ses intentions intéressées (asservir à l'Etat soviétique ce qui s'obstinait à survivre de l'Eglise orthodoxe russe), et l'inégalité flagrante du statut qui accorde aux croyants la « liberté de pratique religieuse » (encore ne voyons-nous guère de fonctionnaires ou d'agents de l'Etat s'y risquer... ). Tandis que l'athéisme a la « liberté de propagande antireligieuse». Or, comme tout l'enseignement est aux mains de l'Etat bolchéviste, de l'école primaire aux universités, comme toutes les maisons d'édition sont également d'Etat, comme tous les journaux, revues, etc., sont d'Etat, on voit la disparité de condition : si la survivance de la religion en Russie prouve une chose, c'est le besoin d'absolu qui habite le cœur de l'homme et la puissance de l'action de Dieu, mais certainement pas la générosité du communisme !

La chose est d'ailleurs particulièrement flagrante lorsqu'il s'agit des pays de démocratie populaire (42). Sait-on, par exemple, que quatre évêques catholiques albanais sur cinq sont morts (en prison, ou fusillés) ? Qu'en Roumanie, la proportion est sensiblement la même? Quant à la Chine, les faits ont eu assez de publicité pour qu'on ne puisse tout étouffer... Et la Hongrie? Et la Tchécoslovaquie? Et la Bulgarie? Et la Pologne? Nous avons les statistiques et les noms propres sous les yeux, et nous regrettons de ne pouvoir tout transcrire (43).
Destruction de la cathédrale du Christ-Sauveur de
Moscou par le pouvoir communiste (1931).

Nous croyons n'avoir pas besoin d'insister maintenant sur l'incompatibilité absolue du marxisme-léninisme et du christianisme traditionnel. Signalons tout de même l'absolue fausseté du propos, si répandu en France en certains milieux et d'après lequel on ne doit lutter contre le communisme que par la prière et par les réformes sociales, en « faisant mieux que lui » (ce qui suppose qu'il fait bien, si cette formule de Joseph Folliet a un sens).

En réalité, il y a bien un problème urgent et réel d'amélioration des niveaux de vie, surtout pour certains pays particulièrement défavorisés, mais il y a aussi :

a) Une lutte doctrinale, qui oppose au marxisme-léninisme des constructions solides et « en dur » , non quelque gélatine pseudo-chrétienne, qu'il s'agisse de théologie, de philosophie pure ou de théorie politique. Effectivement, l'attrait du communisme sur les jeunes vient en grande partie de sa massivité affirmative et de son caractère de « système du monde » (voir début de la leçon) :

b) Un devoir strict pour les pouvoirs publics (s'ils font leur métier) de mettre un frein à la subversion, par des moyens honnêtes, mais fermes. On ne peut laisser se développer à son gré un mouvement dont le but avoué est la liquidation de toute opposition. Ou alors, c'est qu'on est masochiste (cela arrive). Nous ne sommes nullement des prédicateurs de croisade antisoviétique comme on nous en a
accusé, nous ne faisons qu 'énoncer une doctrine toute traditionnelle, rappelée par Pie XI lorsqu 'il exhortait sur ce point les Etats à la vigilance, dans les années d'avant 1939.



-Louis Jugnet, Doctrines philosophiques et système politique. Editions de Chiré. 2013. Chiré-en-Montreuil. P. 148-154.


(38) « ... Notre moralité est entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte de classe... Notre moralité se déduit des intérêts de la lutte de classe du prolétariat » (Lénine, au III Congrès des Jeunesses Communistes, 1920).

(39) Tous les humanitaires sont pareils, de Robespierre à Lénine : ils massacrent les hommes actuels en toute sécurité de conscience afin que leurs petits-enfants (s'il en reste) nagent dans la béatitude définitive (voir là-dessus les amères ironies de Koestler, Le Zéro et l'infini) et de Camus (L'homme révolté).

(40) L'habitude de ne pas tenir compte des encycliques est fortement enracinée dans certains milieux catholiques, nous ne le savons que trop. Pourtant, cette attitude elle-même est hétérodoxe et a été condamnée plusieurs fois par l'Eglise. Surtout quand l'encyclique dont il s'agit ne fait que rappeler des principes fondamentaux de morale chrétienne ! ...

(41) Sur les sources du progressisme chrétien dans notre pays, on trouvera, mêlé a une terminologie hégélienne et à d'aigres jugements sur le thomisme, une masse imposante de matériaux dans le récent livre du P. Gaston Fessard, jésuite : De l'actualité historique, t. II : Progressisme chrétien et apostolat ouvrier (Desclée De Brouwer), qui met en cause des personnalités très en vue...

(42) Signalons en passant que la situation de l'Eglise chez Tito, suprême espoir de certains, n'est pas meilleure ...

(43) Le moins que nous puissions faire, c'est de renvoyer à deux ouvrages, pris entre beaucoup d'autres : J. Monsterleet, Les martyrs de Chine parlent (Amiot-Dumont) et P. Gherman: L'âme roumaine écartelée (Editions du Cèdre).

mardi 7 mai 2019

La philosophie religieuse des modernistes : l'agnosticisme

§ I. — Agnosticisme. 

D. — « Pour commencer par le philosophe, quelle est la doctrine que les modernistes posent comme base de leur philosophie religieuse? 
R. — « Les modernistes posent comme base de leur philosophie religieuse la doctrine appelée communément agnosticisme. »

D. — Résumez la doctrine de l'agnosticisme? 
R. — « La raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu'elles apparaissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir les limites ; elle n'est donc pas capable de s'élever jusqu'à Dieu, non, pas même pour en connaître, par le moyen des créatures, l'existence : telle est cette doctrine. »

D. — De cette doctrine, que concluent les modernistes? 
R. — « Ils infèrent deux choses : que Dieu n'est point objet direct de science ; que Dieu n'est point un personnage historique. »

D. — « Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure ? »
R. — « Il est aisé de le comprendre. Ils les suppriment purement et simplement et les renvoient à l'intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé. »

D. — Se laissent-ils arrêter au moins par les condamnations de l'Eglise? 
R. — « Rien ne les arrête, pas même les condamnations dont l'Eglise a frappé ces erreurs monstrueuses. »

D. — Donnez sur ce point, à l'encontre du modernisme , la doctrine du Concile du Vatican? 
R. — « Car le Concile du Vatican a décrété ce qui suit : Si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées, le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème (1). Et encore : Si quelqu'un dit qu'il ne se peut faire, ou qu'il n'est pas expédient que l'homme soit instruit par révélation divine du culte à rendre à Dieu, qu'il soit anathème (2). Et enfin : Si quelqu'un dit que la révélation divine ne peut être rendue croyable par des signes extérieurs, et que ce n'est donc que par l'expérience individuelle ou par l'inspiration privée que les hommes sont mus à la foi, qu'il soit anathème (3). »

D. — « Maintenant, de l'agnosticisme qui n'est après tout qu'ignorance, comment les modernistes passent-ils à l'athéisme scientifique et historique, dont la négation fait au contraire tout le caractère ; de ce qu'ils ignorent si Dieu est intervenu dans l'histoire du genre humain, par quel artifice de raisonnement en viennent-ils à expliquer cette même histoire absolument en dehors de Dieu, qui est tenu pour n'y avoir point eu effectivement de part ? » 
R. — « Le comprenne qui pourra. Une chose, pour eux, parfaitement entendue et arrêtée, c'est que la science doit être athée, pareillement l'histoire ; nulle place, dans le champ de l'une comme de l'autre, sinon pour les phénomènes : Dieu et le divin en sont bannis. »

D. — « Quelles conséquences découlent de cette doctrine absurde, au regard de la personne sacrée du Sauveur, des mystères de sa vie et de sa mort, de sa résurrection et de son ascension glorieuse ? » 
R. — « C'est ce que nous verrons bientôt. »



-Père Jean-Baptiste Lemius, Catéchisme sur le modernisme. 1907. P. 7-9.


(1) De revel., can. I. 
(2) Ibid., can. II.  
(3) De Fide, can. III.