mercredi 29 mai 2019

La tactique des gauchistes démasquée


Le premier exemplaire de La tactique des gauchistes démasquée - la suite de L'infiltration gauchiste au Canada français - est arrivé aujourd'hui.

Pré-commandez votre copie dès aujourd'hui en suivant ce lien. Disponible le 16 juin 2019.

mardi 28 mai 2019

La province de Québec n'est pas née en 1960

Chaque génération semble croire que tout a commencé par elle, que le monde est né avec elle. Un changement politique s'étant produit dans la province de Québec en 1960, les nouveaux détenteurs du pouvoir ont stimulé cette tendance, afin de répandre l'impression qu'il ne s'était rien fait qui vaille avant eux.

La tactique s'est d'abord appliquée au chapitre des relations extérieures. Le Canada français ne révélerait son existence aux pays étrangers - à la France, en particulier - que depuis quatre ou cinq ans.

Ce boniment témoigne d'une robuste ignorance de notre histoire. J'ai entendu l'abbé Pierre Gravel le réfuter avec beaucoup d'à-propos et de verve. Je reprends et développe un peu ses arguments.

En 1880, Adolphe Chapleau, premier ministre prestigieux de la province de Québec, établissait des relations économiques avec la France, en commençant par la négociation d'un emprunt français et par l'établissement du Crédit Foncier Franco-Canadien. Des échanges s'organisaient entre les deux pays - et l'on pensait compléter ces mesures par l'établissement d'une ligne de navigation directe et régulière. Une mission française vint faire le tour de notre province - encore très loin de son développement actuel.

Chapleau voyagea en Europe l'année suivante. La société parisienne s'arracha ce Canadien français si bel homme et si éloquent. Le président de la République le reçut, et le nomma commandeur de la Légion d'honneur; le Pape le reçut, et le nomma commandeur de Saint-Grégoire-le-Grand. Un homme d'affaires très entreprenant, Louis-Adélard Sénécal - le Louis Lévesque de son temps, si l'on veut - accompagnait le premier ministre. Des relations commerciales s'ébauchèrent ou se complétèrent ..

Chapleau avait fait la conquête de Paris. Son grand rival Mercier, devenu premier ministre à son tour, renouvela le charme. Lui aussi avait belle allure, et le goût du panache. Son voyage de 1891 laissa une traînée qu'on peut bien dire éblouissante. Sociétés savantes, réunions académiques, cercles littéraires, économiques, agricoles, instituts techniques, cercles catholiques, on l'invitait partout, et il acceptait. Le président de la République le reçut à l'Elysée et le promut commandeur de la Légion d'honneur. Le roi des Belges le reçut à Bruxelles et le fit commandeur de l'ordre de Léopold. Le pape Léon XIII le reçut à Rome et le nomma comte palatin, à titre héréditaire. A Chartres, à Tourouvre, à l'abbaye de Bellefontaine (maison-mère de la Trappe d'Oka), à Cholet, à Caen, les moines, les éleveurs, les gens du monde, tous reçurent Mercier et ses compagnons comme des frères. La visite de Mercier à Tourouvre, berceau de sa famille, est émouvante au point que son récit nous met des larmes aux yeux. Les vitraux donnés par Mercier à l'église de Tourouvre doivent toujours s'y trouver.

Mercier s'était conduit et fait recevoir en chef d'Etat.

Laurier, aussi bien accueilli en France, brilla surtout en Angleterre. Il y fit plusieurs voyages. Un banquet donné par le gouvernement anglais en 1897 sembla bien tourner en une apothéose de "Sir Wilfrid". Dix ans plus tard, à la conférence de 1907, c'est encore Laurier qui joua l'un des tout premiers rôles.

Au congrès eucharistique de Lourdes, tenu à la veille de la guerre de 1914, deux des orateurs les plus acclamés furent Henri Bourassa et Mgr Georges Gauthier, archevêque coadjuteur de Montreal.

Le sénateur Dandurand, qui avait été l'un des lieutenants de Laurier, remporta de très gros succès personnels à la Société des Nations, à Genève. Sa dignité, son érudition et sa belle voix grave faisaient merveille, et le délégué canadien présida l'Assemblée en 1925.

Rodolphe Lemieux, son cadet de quelques années, son collègue au Sénat et membre, comme lui, des grands cercles internationaux, donna des conférences très suivies à la Sorbonne et succéda au cardinal Mercier comme membre de l'Institut de France en 1927.

Edouard Montpetit, si bel homme, si digne de tenue, si brillant orateur, et qui nous a si bien représentés dans de grands congrès internationaux à Oxford, à Gênes, à La Haye, fut à son tour invité à donner des cours sur le Canada en Sorbonne en 1925, puis à Bruxelles en 1928. L'Académie française n'admet pas de membres étrangers. Mais l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, non moins triée sur le volet, élut Montpetit parmi ses membres.

Ce n'est pas en 1965, c'est en 1923 que notre gouvernement fit circuler en France un train-exposition.

Mais j'ai nommé Mgr Gauthier. Le nom de ce prélat appelle à mon souvenir celui du cardinal Villeneuve, légat du Pape à Domrémy en 1939 (pour les fêtes de Jeanne d'Arc) et à Mexico en 1945. Les voyages occasionnés par ces très hautes missions, en France et au Mexique, prirent tournure triomphale.

Joseph-Adolphe Chapleau (1840-1898).
J'aurais dû citer les missions françaises venues dans notre province à l'occasion des congrès de la Langue française en 1912 et en 1937. Et plus encore, peut-être, l'extraordinaire mission venue pour le quatrième centenaire de la découverte du Canada, en 1934. Bon nombre d'entre nous doivent se le rappeler: jamais pareille élite n'avait traversé l'océan.

Les professions, les corps constitués - les médecins, les chambres de commerce et bien d'autres - ont organisé des voyages collectifs et des échanges de visites avec leurs homologues étrangers. Les anciens de l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales ne peuvent pas avoir oublié le splendide accueil de leurs confrères français, qui les reçurent par ces mots, en 1935: "Vous voici chez vous." Au Cercle Interallié, le plus chic de Paris, les deux groupes échangèrent leurs fanions - le fanion bleu et argent des H.E.C. de Paris contre le fanion à feuille d'érable des Montréalais - en signe d'étroite amitié. Une installation radiophonique spéciale permit aux H.E.C. de Montréal, groupés à l'Ecole de la place Viger, d'entendre le message du président de l' Association française, et aux H.E.C. de Paris, réunis dans les jardins du Cercle Interallié, d'entendre les remerciements d'Armand Viau, président de l'Union Canadienne. L'automne suivant, une délégation des H.E.C. de France rendait la visite et participait aux fêtes du vingtième anniversaire de l'Ecole montréalaise.

Notre histoire récente est parsemée de scènes aussi émouvantes. Il me faudrait vingt fois plus de place pour épuiser le sujet. Pour mentionner les succès remportés à l'étranger par des Canadiens français comme la cantatrice Albani ou le savant Frère Marie-Victorin, entre bien d'autres. Wilfrid Pelletier n'a pas attendu 1960 pour devenir chef d'orchestre du Metropolitan Opera de New York. Les "prix d'Europe" datent au moins d'Athanase David. Ni le Collège Canadien à Rome ni la Maison des Etudiants canadiens à Paris ne datent du gouvernement actuel. Et j'ai eu, bien avant 1960, le plaisir de m'arrêter au bureau de propagande de la province de Québec, en plein Rockefeller Centre, à New York.

J'ai rappelé au chapitre précédent l'essor économique pris par la province de Québec au temps du gouvernement Duplessis. Cet essor se poursuit. On répand à tort l'impression d'une accélération considérable. Nous participons à l'élan qui emporte le continent nord-américain et une bonne partie de l'Europe occidentale. Dans un pareil contexte, qui n'avance pas recule. Mais notre taux de participation fléchit. Nos progrès, plus rapides que ceux de nos voisins il y a sept ou huit ans, le sont moins aujourd'hui. Montréal était en voie de surclasser définitivement Toronto. C'est maintenant la capitale ontarienne qui rattrape la métropole québécoise. Le taux de croissance de Toronto (2,000,000 d'âmes) est de 9%; celui de Montréal (2,200,000) de 7%. La différence est encore plus accusée si l'on compare, non plus les deux grandes villes, mais l'ensemble des deux provinces. Toronto rattraperait Montréal d'ores et déjà sans les préparatifs de l'Exposition - à laquelle l'Etat fédéral et par conséquent l'ensemble du pays apportent une sérieuse contribution.

Pour une industrie dont on annonce la prochaine installation dans Québec, trois ou quatre s'établissent en Ontario. Et la grande province voisine n'est pas seule à nous devancer. La Colombie-Britannique enregistre des gains très supérieurs aux nôtres dans à peu près tous les domaines : population, investissements de capitaux, ventes au détail, revenu personnel, taux des salaires. La côte du Pacifique connaît un essor extraordinaire. Un gigantesque développement hydroélectrique est en projet sur la rivière La Paix. Le port de Vancouver rattrape le port de Montréal pour le tonnage manutentionné. Il le dépassera, selon les prévisions, d'ici trois à cinq ans. L' Alberta continue sur sa lancée. La Saskatchewan a répudié les gouvernements socialistes sous lesquels elle végétait et s'efforce, avec succès, d'attirer des industries. Un énorme projet d'exploitation des potasses y est en voie de réalisation. Le premier ministre Ross Thatcher déclare, à l'inauguration d'une nouvelle usine: "Nous voulons créer un climat des plus favorables à l'entreprise privée." Les provinces Maritimes· elles-mêmes, si longtemps léthargiques, atteignent un taux de croissance supérieur au nôtre. La Nouvelle-Ecosse s'industrialise "in a big way". Elle étudie l'utilisation éventuelle des hautes marées de la baie de Fundy - les plus puissantes du monde - pour produire une quantité considérable d'énergie électrique, moins coûteuse que l'énergie produite à l'aide des chutes d'eau. Elle a déjà son usine d'automobiles, la Volvo, qui entame le marché québécois. Une autre usine, près de Sydney, fabriquera des autos de marque japonaise. La Nouvelle-Ecosse construit la première usine d'eau lourde au Canada. Elle a construit la première fabrique de boîtes de conserves en aluminium au Canada, et en construit maintenant une deuxième. Au Nouveau-Brunswick, la Brunswick Mining and Smelting construit un énorme complexe (mines, fonderie, produits chimiques, sidérurgie) à coups de centaines de millions. Un groupe d'usines s'installe à Bathurst et des filiales à Belledune. Ce complexe, destiné à devenir une véritable puissance industrielle, est déjà partiellement en production. Jusqu'à la minuscule Île du Prince-Edouard qui ouvre des chantiers maritimes, tandis que Terre-Neuve inaugure le, grand ensemble de la Wabush Mines (235 millions), puis équipe les chutes de Hamilton.

Le ministre (fédéral) des Finances a donné des statistiques relatives à l'ensemble des provinces atlantiques, à la Chambre des communes, le 7 juin. Les investissements de fonds ont augmenté de 14 pour cent en 1964, et ce progrès est partagé par tous les secteurs de l'économie; la production minérale a, augmenté de 33 pour cent, la production de pâte à papier a réalisé une nouvelle avance de 29 pour cent, les expéditions de minerai de fer de 30 pour cent. Le chômage a diminué de 16 pour cent.

Le frère Marie-Victorin (1885-1944).
La vérité est que nous suivons le mouvement, à la queue. Il nous reste les fâcheux records que nous avons déjà énumérés, et quelques autres aussi peu flatteurs, comme le record du chômage (taux relevés par le Bureau fédéral de la Statistique en mai 1965 : 5.2 dans Québec; 3.1 en Ontario), le record des grèves, le record des faillites, le record des accidents d'automobiles, le record des taxes et le record des dettes.

Il ne s'agit pas de discréditer les efforts qui s'accomplissent aussi dans Québec. Mais on cherche à nous tromper en nous laissant croire qu'ils sont uniques au Canada et dans le monde, qu'ils n'ont pas eu de prédécesseurs et qu'ils n'ont pas d'équivalents contemporains.

Ne nous racontez pas que la province de Québec, en 1960, est sortie du néant - ou des "ténèbres du Moyen-Age'' comme aurait dit feu T.-D. Bouchard - pour entrer d'un bond dans l'ère des relations interplanétaires.

[NDLR : T-D Bouchard, surnommé le diable de Saint-Hyacinthe, fut maire puis député de cette ville. Successivement chef de l'opposition officielle (parti libéral), ministre, président d'Hydro-Québec (démis de ses fonctions par la suite car trop gênant pour le gouvernement Godbout) puis sénateur. Ouvertement franc-maçon et anti-clérical, c'est en partie à son instigation que nous devons la loi sur l'instruction obligatoire au Québec, première étape d'une mainmise du gouvernement sur la jeunesse, ainsi que de la déchristianisation du Québec.]



-Robert Rumilly, Quel monde ! Editions Actualité. 1965. Montréal. P. 80-85.

samedi 18 mai 2019

Fête de saint Jean-Baptiste 2019 à Drummondville



Tradition Québec vous invite à sa Grand-Messe de la Saint-Jean-Baptiste, le lundi 24 Juin à Drummondville.

Lieu : 1966 boulevard Saint-Joseph Ouest, Saint-Majorique. QC, J2B 8A8.

Horaire :

8h30 à 10h - Confessions.
10h - Messe catholique (rite de saint Pie V) - Abbé Damien Dutertre.
12h30-13h - Repas ailleurs à Drummondville. Apportez votre repas. L'adresse vous sera communiqué.

Pour informations : Nous joindre

mardi 14 mai 2019

La tactique des gauchiste démasquée


La tactique des gauchistes démasquée, cahier n.2 de Robert Rumilly (suite de L'infiltration gauchiste au Canada français), sera disponible dès le 17 juin 2019. Pré commandez votre copie dès aujourd'hui en visitant notre page Etsy. Les commandes passées seront donc honorées à partir du lundi 17 juin 2019.


Titre : La tactique des gauchistes démasquée.
Auteur : Robert Rumilly.
Éditeur : Les Éditions de la Vérité
Langue : français.
Taille : 10.79 x 17.46 cm.
Pages : 84.
Couverture : souple.
Date de publication : 17 juin 2019.
Prix : 12,15 $ (livraison gratuite).


Pour l'occasion, des copies du cahier n.1 L'infiltration gauchiste au Canada français seront aussi disponibles dès le 17 juin 2019. Pour en pré commander une copie, cliquez ici.

samedi 11 mai 2019

Marxisme et christianisme

Nous ne pouvons terminer cette étude sans traiter d'un problème sans cesse agité à l'heure actuelle. Comment situer réciproquement marxisme et christianisme? En particulier, un chrétien peut-il collaborer avec les marxistes dans sa lutte politico-sociale ?

Nous avons déjà indiqué que l'athéisme n'était absolument pas une pièce rapportée ou un élément adventice dans le marxisme, mais bien une des idées maîtresses, voire l'inspiration foncière du système. La chose est dite en termes fort nets par les interprètes les plus officiels de la pensée marxiste, tel A. Cornu. On peut même dire que, bien loin que la critique marxiste de la religion ne soit qu'un corollaire de la critique du libéralisme économique contenue dans Le Capital (comme le croient sottement trop de chrétiens de notre pays), c'est rigoureusement l'inverse qui est vrai : Le schéma de l'aliénation, dont l'essentiel est dû à Feuerbach et qui s'applique aux rapports entre l'homme et Dieu, est appliqué par Marx à la société capitaliste.

Nous parlions du présent problème, voici quelque temps, avec une haute personnalité romaine. Celle-ci nous déclara : « Je n'arrive pas à comprendre l'attitude de certains catholiques français, qui essaient perpétuellement de maintenir le contact avec le communisme. L'opposition totale est pourtant trop manifeste, et ceci à trois échelons : les doctrines sont entièrement antagonistes et inconciliables l'une avec l'autre. L'Eglise est intervenue à de multiples reprises pour dire ce qu'il fallait en penser, ce qui, pour un chrétien catholique devrait trancher le débat. Enfin, il y a l'épreuve des faits partout où le communisme est au pouvoir, il s'acharne à détruire la religion chrétienne ».

Ces paroles autorisées nous donnent un plan tout tracé:

1. Caractère intrinsèquement inconciliable des doctrines

Elles s'opposent en effet en ce qui concerne l'idée qu'elles se font de la réalité dans leur hiérarchie des biens et des maux : dans le but qu'elles s'assignent ; et, enfin, dans le choix des moyens.

a) Pour le chrétien (et, en général, pour le spiritualiste et l'homme religieux monothéiste) le monde matériel existe certainement : il est l'oeuvre de Dieu, et nous ne devons ni le mépriser, ni le négliger. Mais la réalité suprême, c'est Dieu et le monde spirituel beaucoup plus riche et dense que l'univers matériel. Le moindre acte de foi proclame cela et les saints en font le centre de leur vie. Pour le marxiste, seule la matière existe, la pensée n'en est qu'un effet, et tout ce qui concerne le monde spirituel est pure fantasmagorie, mystification néfaste qu'il faut extirper.

b) Pour le chrétien, le mal suprême, la seule aliénation intégrale, c'est le péché, la faute morale. Comparativement à cela, le reste est secondaire. Pour le marxiste, la notion de péché est mystifiante et irrationnelle, le mal suprême c'est la souffrance qui résulte de l'oppression sociale.

c) Pour le chrétien, il ne faut certes pas se désintéresser de la vie des hommes ici-bas, et il faut combattre l'injustice, mais enfin notre demeure ultime est aux cieux et notre espérance porte sur le Royaume de Dieu, non sur la technique et la rationalisation des moyens de production. Pour le marxiste, « notre paradis, c'est sur terre que nous le ferons » (Maurice Thorez, reprenant un mot
de Marx), le reste est chimère haïssable.

d) Pour le chrétien, il y a des moyens d'action qui sont intrinsèquement illégitimes, qu'il ne faudra jamais employer, quel qu'en puisse être le bon effet temporel (puisque le péché est le plus grand des maux). Pour le marxiste, est bon ce qui sert la cause de la révolution, est mauvais ce qui s'y oppose (38), de sorte que c'est merveille de voir les bonnes âmes s'étonner lorsque le communisme utilise des procédés tels que le mensonge, la calomnie pour déconsidérer un adversaire, les procès préfabriqués, la liquidation physique des individus ou des groupes, etc. Dans son optique, il aurait bien tort de se paralyser par un scrupulisme petit-bourgeois, puisqu'il s'agit de rendre en définitive l'homme heureux (39).

Comment dès lors un chrétien pourrait-il collaborer, même sur le plan purement pratique avec le Parti communiste? On n'arrive même pas, logiquement parlant, à comprendre comment certains ont pu le croire et persévérer encore actuellement dans cette voie (ce qui prouve que certains esprits sont capables de refuser même les évidences).

2. Condamnation formelle du communisme par l'Eglise

Ce paragraphe s'adresse essentiellement aux catholiques, mais un incroyant honnête pourra au moins comprendre pourquoi l'accord est impossible.

Pie XI (1922-1939) : « Le communisme est
intrinsèquement pervers ».
Les textes sont nombreux. Nous ne rappellerons que trois documents particulièrement caractéristiques : d'abord, l'encyclique Divini Redemptoris de Pie XI (1937) (40) qui est particulièrement sévère (« Le communisme se montre sauvage et inhumain à un degré qu'on a peine à croire, et qui tient du prodige... Le communisme est intrinsèquement pervers et l'on ne peut admettre sur aucun terrain de collaboration avec lui, de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne. Si quelques-uns, induits en erreur, coopéraient à la victoire du communisme dans leur pays, ils tomberaient les premiers, victimes de leurs égarements »).

Sur le plan pratique, le Saint-Office, dans un décret du 1er juillet 1949, porte des sanctions canoniques contre ceux qui collaboreraient avec le communisme. Une autre décision du Saint-Office est intervenue le 14 avril 1959 [NDLR : Sous Jean XXIII/Roncalli], toujours dans le même sens.

Ajoutons enfin les nombreuses condamnations de publications et de groupes progressistes par Rome, qu'il s'agisse des pays libres (« jeunesse de l'Eglise», « quinzaine », etc.) (41) ou des pays de démocratie populaire (Pologne principalement). On voit mal comment un catholique peut passer outre, en sécurité de conscience, à de telles barrières.

3. Persécutions antireligieuses

Il semble que beaucoup, sur ce point, ne soient pas au courant, ou plutôt s'évertuent à ne pas savoir. On ressasse toujours, en milieu progressiste, la formule communiste : « Nous ne voulons pas faire de martyrs », mais on la prend à contresens : elle signifie seulement qu'il ne faut pas molester ou tuer les prêtres ou les laïcs catholiques pour motif avoué d'ordre doctrinal, mais elle n'interdit pas, elle conseille même, de les disqualifier et de les liquider sous des prétextes politiques (sabotage de la réforme agraire, "activités fascistes", etc.), ce qui est toujours possible avec un parti tout-puissant
et une police omniprésente, là où le communisme est au pouvoir. Car après la prise du pouvoir, il faut liquider la religion.

En Russie, ce fut pendant des années une persécution sanglante qui coûta la vie à d'innombrables chrétiens, orthodoxes et autres. Si, sous Staline, il y eut la mise sur pied d'un « modus vivendi », il ne faut pas perdre de vue ses intentions intéressées (asservir à l'Etat soviétique ce qui s'obstinait à survivre de l'Eglise orthodoxe russe), et l'inégalité flagrante du statut qui accorde aux croyants la « liberté de pratique religieuse » (encore ne voyons-nous guère de fonctionnaires ou d'agents de l'Etat s'y risquer... ). Tandis que l'athéisme a la « liberté de propagande antireligieuse». Or, comme tout l'enseignement est aux mains de l'Etat bolchéviste, de l'école primaire aux universités, comme toutes les maisons d'édition sont également d'Etat, comme tous les journaux, revues, etc., sont d'Etat, on voit la disparité de condition : si la survivance de la religion en Russie prouve une chose, c'est le besoin d'absolu qui habite le cœur de l'homme et la puissance de l'action de Dieu, mais certainement pas la générosité du communisme !

La chose est d'ailleurs particulièrement flagrante lorsqu'il s'agit des pays de démocratie populaire (42). Sait-on, par exemple, que quatre évêques catholiques albanais sur cinq sont morts (en prison, ou fusillés) ? Qu'en Roumanie, la proportion est sensiblement la même? Quant à la Chine, les faits ont eu assez de publicité pour qu'on ne puisse tout étouffer... Et la Hongrie? Et la Tchécoslovaquie? Et la Bulgarie? Et la Pologne? Nous avons les statistiques et les noms propres sous les yeux, et nous regrettons de ne pouvoir tout transcrire (43).
Destruction de la cathédrale du Christ-Sauveur de
Moscou par le pouvoir communiste (1931).

Nous croyons n'avoir pas besoin d'insister maintenant sur l'incompatibilité absolue du marxisme-léninisme et du christianisme traditionnel. Signalons tout de même l'absolue fausseté du propos, si répandu en France en certains milieux et d'après lequel on ne doit lutter contre le communisme que par la prière et par les réformes sociales, en « faisant mieux que lui » (ce qui suppose qu'il fait bien, si cette formule de Joseph Folliet a un sens).

En réalité, il y a bien un problème urgent et réel d'amélioration des niveaux de vie, surtout pour certains pays particulièrement défavorisés, mais il y a aussi :

a) Une lutte doctrinale, qui oppose au marxisme-léninisme des constructions solides et « en dur » , non quelque gélatine pseudo-chrétienne, qu'il s'agisse de théologie, de philosophie pure ou de théorie politique. Effectivement, l'attrait du communisme sur les jeunes vient en grande partie de sa massivité affirmative et de son caractère de « système du monde » (voir début de la leçon) :

b) Un devoir strict pour les pouvoirs publics (s'ils font leur métier) de mettre un frein à la subversion, par des moyens honnêtes, mais fermes. On ne peut laisser se développer à son gré un mouvement dont le but avoué est la liquidation de toute opposition. Ou alors, c'est qu'on est masochiste (cela arrive). Nous ne sommes nullement des prédicateurs de croisade antisoviétique comme on nous en a
accusé, nous ne faisons qu 'énoncer une doctrine toute traditionnelle, rappelée par Pie XI lorsqu 'il exhortait sur ce point les Etats à la vigilance, dans les années d'avant 1939.



-Louis Jugnet, Doctrines philosophiques et système politique. Editions de Chiré. 2013. Chiré-en-Montreuil. P. 148-154.


(38) « ... Notre moralité est entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte de classe... Notre moralité se déduit des intérêts de la lutte de classe du prolétariat » (Lénine, au III Congrès des Jeunesses Communistes, 1920).

(39) Tous les humanitaires sont pareils, de Robespierre à Lénine : ils massacrent les hommes actuels en toute sécurité de conscience afin que leurs petits-enfants (s'il en reste) nagent dans la béatitude définitive (voir là-dessus les amères ironies de Koestler, Le Zéro et l'infini) et de Camus (L'homme révolté).

(40) L'habitude de ne pas tenir compte des encycliques est fortement enracinée dans certains milieux catholiques, nous ne le savons que trop. Pourtant, cette attitude elle-même est hétérodoxe et a été condamnée plusieurs fois par l'Eglise. Surtout quand l'encyclique dont il s'agit ne fait que rappeler des principes fondamentaux de morale chrétienne ! ...

(41) Sur les sources du progressisme chrétien dans notre pays, on trouvera, mêlé a une terminologie hégélienne et à d'aigres jugements sur le thomisme, une masse imposante de matériaux dans le récent livre du P. Gaston Fessard, jésuite : De l'actualité historique, t. II : Progressisme chrétien et apostolat ouvrier (Desclée De Brouwer), qui met en cause des personnalités très en vue...

(42) Signalons en passant que la situation de l'Eglise chez Tito, suprême espoir de certains, n'est pas meilleure ...

(43) Le moins que nous puissions faire, c'est de renvoyer à deux ouvrages, pris entre beaucoup d'autres : J. Monsterleet, Les martyrs de Chine parlent (Amiot-Dumont) et P. Gherman: L'âme roumaine écartelée (Editions du Cèdre).

mardi 7 mai 2019

La philosophie religieuse des modernistes : l'agnosticisme

§ I. — Agnosticisme. 

D. — « Pour commencer par le philosophe, quelle est la doctrine que les modernistes posent comme base de leur philosophie religieuse? 
R. — « Les modernistes posent comme base de leur philosophie religieuse la doctrine appelée communément agnosticisme. »

D. — Résumez la doctrine de l'agnosticisme? 
R. — « La raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu'elles apparaissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir les limites ; elle n'est donc pas capable de s'élever jusqu'à Dieu, non, pas même pour en connaître, par le moyen des créatures, l'existence : telle est cette doctrine. »

D. — De cette doctrine, que concluent les modernistes? 
R. — « Ils infèrent deux choses : que Dieu n'est point objet direct de science ; que Dieu n'est point un personnage historique. »

D. — « Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure ? »
R. — « Il est aisé de le comprendre. Ils les suppriment purement et simplement et les renvoient à l'intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé. »

D. — Se laissent-ils arrêter au moins par les condamnations de l'Eglise? 
R. — « Rien ne les arrête, pas même les condamnations dont l'Eglise a frappé ces erreurs monstrueuses. »

D. — Donnez sur ce point, à l'encontre du modernisme , la doctrine du Concile du Vatican? 
R. — « Car le Concile du Vatican a décrété ce qui suit : Si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées, le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème (1). Et encore : Si quelqu'un dit qu'il ne se peut faire, ou qu'il n'est pas expédient que l'homme soit instruit par révélation divine du culte à rendre à Dieu, qu'il soit anathème (2). Et enfin : Si quelqu'un dit que la révélation divine ne peut être rendue croyable par des signes extérieurs, et que ce n'est donc que par l'expérience individuelle ou par l'inspiration privée que les hommes sont mus à la foi, qu'il soit anathème (3). »

D. — « Maintenant, de l'agnosticisme qui n'est après tout qu'ignorance, comment les modernistes passent-ils à l'athéisme scientifique et historique, dont la négation fait au contraire tout le caractère ; de ce qu'ils ignorent si Dieu est intervenu dans l'histoire du genre humain, par quel artifice de raisonnement en viennent-ils à expliquer cette même histoire absolument en dehors de Dieu, qui est tenu pour n'y avoir point eu effectivement de part ? » 
R. — « Le comprenne qui pourra. Une chose, pour eux, parfaitement entendue et arrêtée, c'est que la science doit être athée, pareillement l'histoire ; nulle place, dans le champ de l'une comme de l'autre, sinon pour les phénomènes : Dieu et le divin en sont bannis. »

D. — « Quelles conséquences découlent de cette doctrine absurde, au regard de la personne sacrée du Sauveur, des mystères de sa vie et de sa mort, de sa résurrection et de son ascension glorieuse ? » 
R. — « C'est ce que nous verrons bientôt. »



-Père Jean-Baptiste Lemius, Catéchisme sur le modernisme. 1907. P. 7-9.


(1) De revel., can. I. 
(2) Ibid., can. II.  
(3) De Fide, can. III.

jeudi 2 mai 2019

Rousseau et son Contrat social

Le problème posé est celui-ci : puisque l'état social, tout en étant au fond antinaturel, est devenu inévitable, comment rationaliser en quelque sorte la société ? (comparer avec l'Emile: substituer une bonne éducation à la mauvaise).

Le texte du Contrat provient de laborieux remaniements et d'une présentation de type rationaliste et déductif, quasi-spinoziste par endroit. La clarté n'en est pas pour cela parfaite ( cf. Rousseau : « Ceux qui se vantent d'entendre le Contrat tout entier sont plus habiles que moi » ( 1). Il est dominé par le thème ou l'idée, de la Volonté générale, qui provient en partie de vues empruntées à Diderot (sans parler de sources plus anciennes, d'Althusius à Jurieu, voir leçons précédentes sur les juristes et sur Bossuet). Elle est toujours droite, et ne se trompe jamais quoiqu'on puisse la tromper (échappatoire commode pour éluder les faits gênants). Elle s'oppose aux « volontés particulières », et par là Rousseau ne veut pas tellement désigner les désirs des individus que l'intervention des « corps naturels » ou « intermédiaires » de l'Ancien Régime (provinces, corporations, Eglises, etc.). Les citoyens donnent le pouvoir à la collectivité. Celle-ci, en bloc, se choisit un gouvernement. Le livre I critique Hobbes et Grotius, essentiellement à propos de l'esclavage, et là, on peut dire que Rousseau frappe souvent juste. Mais c'est aux livres II et suivants que sa philosophie politique propre s'étale vraiment, dirons-nous, en tout ce qu'elle a de mystifiant...

Le souverain et les sujets sont le même corps de citoyens, considéré sous deux aspects : comme législateur (en tant qu'ensemble) et comme sujet (chacun isolément). Pas de parlementarisme, régime corrompu et corrupteur (on pourrait tirer de Rousseau un florilège de textes antiparlementaires...) mais consultation populaire directe (référendum), d'où hostilité aux trop grands Etats, où Rousseau croit la chose irréalisable.

Rousseau déteste la monarchie, et, en le lisant, on a l'impression d'une gageure, car il utilise contre elle des arguments qui sont comme le négatif de ceux qu' emploient, pour la justifier, les auteurs monarchistes. La monarchie est un régime instable et manquant de continuité, au contraire des régimes républicains (? !). Que pour Rousseau, la « multitude », comme disent les auteurs classiques, soit source de la souveraineté, c'est bien certain. Mais est-elle aussi le critère de la distinction du bien et du mal ? Certains auteurs - en général favorables à Rousseau - disent que non, qu'il met au-dessus du consentement populaire des valeurs immuables et absolues. D'autres, tel Maritain, dans Trois réformateurs (Plon, éditeur, ouvrage que nous ne saurions assez recommander), pensent le contraire.

Comme nous l'avons dit précédemment (leçon XII), Rousseau rejette la séparation des pouvoirs. La souveraineté est unitaire.

En matière de religion, il faudra enlever à l'individu tout ce qui pourrait le dresser contre l'Etat (comparer avec Platon, leçon II). Rousseau est fortement hostile au catholicisme, non seulement pour des raisons philosophiques mais pour ce motif politique : le catholique n'est jamais un citoyen « à cent pour cent ». Il n'est pas non plus protestant, malgré ses sympathies pour les implications révolutionnaires de la Réforme (voir leçon sur celle-ci). Il tolère un vague christianisme « moraliste », rhétorique, humanitaire, sans dogmes précis, mais, pour son compte, il est déiste : il faut croire en Dieu, en son action sur le monde, à la vie future, à la sainteté de la loi civile. Mais Rousseau tient tellement à ce Credo minimum (et ici, comme sur beaucoup d'autres points essentiels, Robespierre sera son très fidèle interprète), que l'athée sera, s'il persévère, emprisonné, voire totalement éliminé (Contrat, 1. IV, ch. VIII).

DISCUSSION :

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778).
La pensée de Rousseau, nous paraît, disons-le, sophistique et extrêmement nocive.

1 ° Si l'on met l'accent sur le consentement libre de l'individu, on dira que chacun doit pouvoir, en Discours, avec tous les inconvénients que comportent l'individualisme libéral et l'anarchisme pur (voir leçon sur Maurras et article « Rousseau » de celui-ci dans son Dictionnaire politique et critique). C'est une conception essentiellement négative, et destructrice des valeurs sociales. bonne logique, rompre le pacte social à tout instant. On arrive alors à une interprétation anarchiste, qui rejoint la doctrine des

2° Si l'on met l'accent sur la volonté générale prise en bloc, sorte d'abstraction réalisée, on arrive à des conclusions étonnantes, et, selon nous, inacceptables encore :

A. La volonté générale devrait, en principe, être celle de l'unanimité du corps social. Mais ceci est irréalisable en fait, et Rousseau le sait fort bien. Dès lors, c'est la majorité numérique qui sera censée représenter la volonté générale. On rencontre alors deux difficultés :

a) qu'est-ce qui nous garantit (à part une « foi » démocratique qui soulève les montagnes...) qu'elle incarne plus réellement le bon sens et le jugement droit que la minorité, surtout quand on ne professe pas un radical optimisme sur la lucidité et la bonté de l'homme.

b) que devra faire la minorité ? Rousseau n'hésite pas : non seulement elle devra s'incliner devant le verdict de la majorité, au for externe, mais elle devra, au for interne, se ranger à cet avis, l'accepter comme fictivement et absolument bon. Elle devra, pourrions-nous dire, faire son autocritique et, si l'on vote à nouveau, voter comme la majorité l'a indiqué. Et si quelqu'un regimbe? Alors, c'est Rousseau qui nous le dit, le récalcitrant sera « forcé d'être libre »...

RÉSULTAT : ON AURA UN TOTALITARISME POLITIQUE.

Rousseau engendre logiquement Saint-Just et Robespierre, lorsque celui-ci déclare : « le gouvernement de la République, c'est le despotisme de la liberté (sic) contre celui de la tyrannie ». On peut donc dire que Rousseau est une des sources indiscutables des pouvoirs totalitaires modernes, de Napoléon aux dictateurs de nos jours. Et, en particulier, par l'intermédiaire de Fichte son idée du« peuple» et de ... celui qui l'incarne a contribué à la naissance et au développement du pangermanisme (constatation fort utile à faire, mais qui gênera sans doute certains admirateurs inconditionnels des « grands ancêtres » et des « immortels principes» ...).

B. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Les théoriciens et les hommes politiques de la démocratie craignent vivement que même la majorité des suffrages ne leur soit pas toujours acquise. Et, de fait, ils ont bien raison (que l'on songe à la proportion - arithmétique- ment ridicule - de Français qui étaient réellement partisans de la Convention et qui votèrent en ce sens ! ...) Aussi les sectateurs de Rousseau, sur le plan juridique, en arrivent-ils à des aveux dépouillés d'artifice.

« On conçoit, après cela, l'attrait de la doctrine léniniste : 
aux chefs socialistes il ouvre la perspective d'un pouvoir indéfini, 
sans limites et sans contrôle, tandis qu'il fait briller aux yeux 
des classes ouvrières le mirage de la terre promise. »
Un des grands républicains du siècle dernier, Arthur Ranc, tourné vers la droite de l'assemblée s'écriait assez ingénument : « Si vous êtes une infime minorité, nous vous mépriserons (2) ; si vous êtes une forte minorité, nous vous invaliderons ; si vous êtes la majorité, nous prendrons le fusil et nous descendrons dans la rue (3) ». Plus doctoral, un éminent juriste de la célèbre « Ligue des Droits de l'Homme » écrit : « La volonté de la majorité n'est pas une catégorie absolue ... dans un grand nombre de cas, les" délibérations du peuple" n'ont pas de valeur pour la conscience juridique de la démocratie... Le fait majoritaire n'est pas un facteur décisif pour l'éthique démocratique. A l'inverse, le défaut de majorité arithmétique n'enlève pas son caractère démocratique à la France de la Convention ... La Convention nationale représente-t-elle la majorité des électeurs français en 1792? Non, bien sûr ... les Citoyens "pensants et agissants" n'étaient qu'une infime minorité. Lorsqu'un pays vote librement (le mot est souligné par l'auteur de l'article) contre la liberté, ce choix, sur le plan moral et institutionnel, est illégal (Mirkine-Guetzévitch, Revue philosophique, juillet-septembre 1952, pp. 448-449). Tout commentaire nous parait superflu ...

Concluons donc: c'est pour s'être politiquement inspirée de Rousseau que la France oscille depuis la Révolution, entre l'anarchie et le despotisme césarien.

Sur le plan religieux, l'idéologie de Rousseau et son héritier le jacobinisme, sont aussi profondément opposés au christianisme que le matérialisme marxiste (4). Contre la cécité de certains chrétiens qui ne se contentent pas de défendre la démocratie (ce qui sur le plan institutionnel est leur droit) mais qui nous ressassent malgré toutes les encycliques, « l'origine évangélique de la Révolution française », il faudrait faire un tableau synoptique détaillant la signification chrétienne des mots « liberté, égalité, fraternité» et le sens qu'ils ont pour la pensée révolutionnaire des XVIIIe et XIXe siècles, on s'apercevrait très vite du contraste. La chose est d'ailleurs soulignée avec une parfaite lucidité par des incroyants comme Albert Camus (on lira surtout le texte intitulé « Les Régicides » dans L'homme révolté, pp. 143-168) et comme André Malraux, qui a plus d'une fois soutenu que, si la révolution ne peut effectivement se concevoir sans le christianisme, c'est en tant qu'elle en est précisément le contre-pied, et comme le négatif métaphysique.



-Louis Jugnet, Doctrines philosophiques et système politique. Editions de Chiré. 2013. Chiré-en-Montreuil. P. 79-84.


(1) Rousseau a, de temps en temps du moins, de ces aveux d'une charmante naïveté. Comme un hobereau lui présente son fils « élevé selon les principes de l'Emile », Jean-Jacques s'écrie : « tant pis pour vous, Monsieur, et tant pis pour votre fils ! » ...

(2) On notera ce mépris de la personne et des idées de l'adversaire, dès qu'il ne représente pas une masse au sens mécanique...

(3) Effectivement, aucune de nos républiques n'est sortie d'un pacte pacifique, mais toujours de l'émeute et de l'insurrection armée...

( 4) Il serait intéressant (nous l'avons fait ailleurs) de comparer en détail jacobinisme et marxisme : la grande différence entre les deux, c'est que le jacobinisme issu de Rousseau est un rationalisme abstrait, statique, formel, à la différence de la dialectique évolutive et matérialisme du marxisme. Mais - outre l'utilisation méthodique de la violence pour éliminer toute opposition- les ressemblances sont profondes, qu'il s'agisse de l'opposition farouche, irréductible, au catholicisme, dans un cas comme dans l'autre (rejet du sacré, de la transcendance, etc, ...) et même du collectivisme. Car enfin, Rousseau estime que c'est l'Etat qui est juge de ce que nous pouvons posséder, et la Révolution française connut une forte poussée collectiviste (voir Gaxotte, La Révolution française, ch. XII).