samedi 6 août 2016

Honneur à la Province de Québec!

Maintenant, ouvrons l'histoire, et voyons dans quelles circonstances difficiles les Canadiens-Français se sont trouvés, au point de vue scolaire, jusqu'en 1846.

De 1760 à 1787, aucun effort n'est fait par l'Etat pour organiser un système d'enseignement. Après la cession, les anciens Canadiens retournent à leurs champs, et, groupés autour du clocher paroissial, ils réparent les désastres d'une guerre longue et pénible. Guidés par un clergé dévoué, soutenus par leurs mères, leurs épouses et leurs filles, qui ont étudié pour la plupart, soit chez les Ursulines, soit chez les Sœurs de la Congrégation, ces héros envisagent, sans défaillir, la situation nouvelle qui leur est faite. On se compte : 60,000 habitants ; on relève la tête, car l'honneur est sauf : la dernière bataille, celle de Ste-Foye, rappelle une victoire française ; la foi catholique rend le courage un instant abattu ; les souvenirs glorieux de l'Ancienne et de la Nouvelle-France réchauffent le sentiment national, et, désormais, nos pères regardent l'avenir avec confiance.

Pendant plus d'un demi-siècle, ils refusent de bénéficier des subsides scolaires offerts à la population par le gouvernement du temps, parce que ces subsides ne sont accordés qu'à ceux qui consentent à souscrire au principe de l'école neutre (unsectarian).

En 1800, durant l'administration de Sir Robert Shore Milnes, l'Institution Royale fut organisée en vertu de "l'Acte pour établir des écoles gratuites pour le progrès de l'Instruction."

" Ce système produisit bien peu de résultats. Il reposait sur le faux principe de l'école neutre et avait pour but non déguisé d'anglifier les Canadiens. Le Dr Meilleur nous apprend que "plusieurs des instituteurs choisis par le gouvernement étaient de jeunes ministres protestants que l'on envoyait tenir des écoles anglaises dans des paroisses où l'on comptait à peine dix familles d'origine britannique". L'Institution Royale vécut quarante ans, et n'avait ouvert que 84 écoles dont la plupart avaient entièrement disparu avant la loi de 1841.

D'après la loi des Ecoles de Fabrique, adoptée en 1824, le gouvernement n'accordait rien au peuple pour l'instruction publique. "Cette législation, dit M. Chauveau, permettait au curé et aux fabriques de chaque paroisse d'affecter un quart des revenus de chacune de ces corporations au soutien d'une ou de deux écoles, suivant le nombre de familles."

C'était un permis, voilà tout ; d'aide, point.

L'arrivée des Ursulines à Québec
De 1824 à 1836, le gouvernement chercha à organiser des écoles, sans succès sérieux. La rébellion vint ensuite retarder l'exécution des projets émis par quelques législateurs, au cours des années 1835 et 1836.

Enfin, en 1841, une nouvelle loi d'Éducation fut adoptée. Elle établissait des commissaires électifs, mais chose étrange, elle confiait la plus grande partie des pouvoirs, surtout celui de l'imposition des taxes, aux nouvelles autorités municipales, créées par Lord Sydenham. Les conseillers, non électifs, étaient choisis et nommés par l'Exécutif.

Il est facile de comprendre que nos ancêtres refusèrent de nouveau les subsides de l'Etat, plutôt que de se soumettre à la petite oligarchie des conseils de district. Ajoutons que le gouvernement nomma un seul Surintendant pour le Haut et le Bas-Canada; un Anglais, bien entendu, fut choisi pour occuper ce poste important. Pendant cinq années consécutives, des efforts furent tentés pour améliorer l'Acte de 1841, mais sans résultat pratique.

Enfin, lorsque l'illustre Lafontaine, aidé de sou non moins illustre lieutenant, A.-N* Morin, eut doté son pays d'une organisation municipale conforme aux besoins des Canadiens-Français, et que la décentralisation judiciaire fut un fait accompli, le gouvernement comprit que la seule organisation scolaire susceptible de rencontrer le suffrage du clergé catholique et l'appui du Bas-Canada, serait celle qui se rapprocherait le plus du système paroissial, c'est-à-dire, qui aurait pour base l'idée confessionnelle, et pour principe la liberté, pour les parents catholiques et les parents protestants, d'avoir des écoles séparées,—chaque dénomination devant recevoir sa part proportionnelle des subventions de l'État.

Cette loi fut adoptée en 1846.

Depuis, elle a été souvent modifiée, mais elle existe encore dans ses grandes lignes.

Au point de vue qui nous occupe, il reste donc établi que les Canadiens-Français ne reçoivent leur part des subsides du gouvernement, en matière scolaire, que depuis guère plus de cinquante ans. Un demi-siècle durant, de 1796 à 1846, ils furent obligés de payer des taxes scolaires sans recevoir, en retour, des avantages dont ils pouvaient légitimement jouir. Néanmoins, la petite phalange de 60,000 fit des progrès merveilleux, pendant ce demi-siècle de privations et de luttes de toutes sortes. Elle se doubla plusieurs fois, repoussa les envahisseurs du sol natal à deux reprises, en attendant que l'heure de la justice sonnât.

Sir Louis-Hippolyte Lafontaine,
le défenseur des droits du Canada-français
Depuis 1846, la route parcourue est considérable. La province de Québec possède plus de 5,000 écoles primaires, 600 écoles primaires supérieures, 3 écoles normales, 1 école polytechnique, 2 écoles d'agriculture, plusieurs écoles d'arts et métiers, 2 écoles pour les sourds-muets, d'admirables orphelinats, 19 établissements d'enseignement secondaire, 2 universités, dont l'une l'Université-Laval, avec ses deux sections (Québec et Montréal) surpasse, en valeur intrinsèque, la plupart des maisons similaires du continent américain.

Dans le domaine administratif, notre province possède une organisation municipale admirable, et nos législateurs, sous le rapport du talent, n'ont rien à envier à ceux des autres parties du Canada.

L'industrie, la colonisation et l'agriculture ont progressé, depuis quelques années surtout, d'une façon absolument consolante. L'on nomme déjà notre province la reine de l'électricité, le royaume de la pulpe, la patrie de l'industrie laitière et la merveille de la colonisation dans les pays du nord.



Conclusion

Comment donc expliquer l'audace de la trinité infâme : le Fanatisme, le Cosmopolitisme et le Sectarisme (pour employer un néologisme), qui dénonce la province de Québec et cherche à lui imprimer au front le signe de la honte ?— Mais de toutes les provinces de la Confédération, si le mérite compte pour quelque chose ici-bas, c'est à la nôtre qu'appartient la palme du triomphe et non l'injure !

La honte revient à nos insulteurs, fanatiques ou traîtres, qui ne peuvent constater sans rage que les fondateurs du Canada sont fidèles à leur foi, à leurs traditions et à leur langue.

Haut les cœurs ! compatriotes. Continuons à avancer dans la grande voie de l'honneur et du progrès. Regardons nos ennemis bien en face, et à l'audace de ceux qui nous insultent opposons notre vaillance ; à leur mépris opposons notre légitime fierté.



C.-J. Magnan, Honneur à la Province de Québec! : Mémorial sur l'Éducation au Canada. Dussault & Proulx, Imprimeurs. Québec, 1903. P. 21-27.