mercredi 3 juin 2015

Canadien français, l’incontournable réveil


 
 
 
La passion des lettres est un atout que nous encourageons chez chacun de nos militants. Des textes comme celui que Jean-Charles Bernier nous a fait parvenir suite à la conférence de Jean-Claude Dupuis sont tout à fait pertinents. C'est là le meilleure salaire qu'un organisateur catholique puisse recevoir.
 
 
Rares sont les hommes de pensées, aujourd’hui, qui ont le niveau et l’audace de remettre en question « l’héritage » de la Révolution Tranquille. Cette gigantesque entreprise de déconstruction mérite, il me semble, pourtant bien qu’on s’y attarde ! Le professeur Dupuis l’a fait le 15 mai dernier avec brio, par le biais d’une conférence savoureuse, à laquelle j’eus le loisir d’assister avec quelques amis. Je dois avouer que j’étais dors et déjà charmé par le sujet qui devait animer les discussions et c’est d’ailleurs pour cette raison que j’entrepris de faire le chemin nécessaire afin d’assister à l’évènement.

Lorsque j’arrivai sur place, après un bon moment en voiture, je ressentis le besoin de me dégourdir un peu. Je pris donc le temps de rêvasser à mes aïeux tout en grillant une clope sur le pavé du boulevard comme l’aurait fait jadis un lecteur de l’Action française. Après quelques bavardages, tout près de l’entrée, je franchis enfin le seuil de la vieille porte en bois de cet édifice du Vieux-Québec. Je me croyais revenu aux belles années du clérico-nationalisme en apercevant le drapeau du Carillon Sacré-Cœur, confectionné à la main par la fiancée normande de l’un des organisateurs, et qui trônait bien évidemment en évidence sur la table attitrée à l’orateur. Sans oublier la multitude de Canadiana et d’œuvres de « défense nationale » d’un autre âge qui était offerte aux bourses des spectateurs. Je me rappelle, avec plaisir, que ces signes avant-coureurs m’avaient certifié d’emblée que j’allais passer une agréable soirée.

Libérez le canadien-français qui sommeille en vous, tel était l’idéal au fond, après avoir bien fustigé le Parti Québécois et Radio-Canada, auquel nous conviait l’historien Jean-Claude Dupuis. Vaste programme! De prime abord, l’idée peut paraître saugrenue, voire même rétrograde aux esprits « modernes », mais elle n’est pourtant pas dénuée de sens. Pertinente, elle mérite qu’on s’y attarde. Un « recours aux sources », pourquoi pas, j’emprunte ici le titre de l’essai traitant de notre rapport au passé de l’historien Éric Bédard. En somme le professeur Dupuis nous propose de restaurer la citadelle intérieure de l’homme québécois « yankeefié » jusqu’à la moelle par la modernité. Le Québécois doit se ravigoter au passé qu’il a oublié ou qu’on lui a caché. Car, ajouterais Rumilly : « Un peuple ne peut vraiment s’épanouir que dans le sens de ses traditions ». À bon entendeur !

Sur le marché des idées de la belle province, elle est pour tout dire la plus attrayante. Cette idée me plaît; retrouver « l’esprit français », face à l’uniformisation mondialisée, la religion de nos pères, face au consumérisme démesuré, la famille et l’esprit collectif, face à l’individualisme triomphant. Préférer la patrie spirituelle, « enracinée », à la patrie « philosophique » et ses funestes erreurs. « Les droits de l’homme » que la gazette du Marseillais Mesplet tentait d’implanter ici dès la fin du 18e siècle, sans succès, ont finalement pu prendre le devant de la scène avec « l’infiltration gauchiste » des années 1950 et l’avachissement de l’Église canadienne (mention spéciale au Cardinal Léger). Le duel des « deux patries » (la philosophique se substitue graduellement dans le temps à la chrétienne) théorisé par Jean de Viguerie est tout aussi probant chez nous, à quelques nuances près que, dans la « douce France ». L’intellectuel de gauche (oui, de gauche!) Joseph Yvon Thériault affirmait dans sa « Critique de l’américanité » que la Tradition était un passé mort, un épouvantail dont l’on usait sciemment au besoin dans la province de Québec. Jusqu’au 15 mai dernier, amèrement, j’étais porté à être en accord avec ce monsieur et à céder parfois à un certain spleen Baudelairien qui cadrait plutôt mal à vrai dire avec mon âme de catho à réaction.

Jusqu’au 15 mai dernier. Ce soir-là, la salle était bondée, sans exagération. Il y avait réellement affluence ; des jeunes et même plusieurs jeunes femmes. À ma grande stupéfaction la « Grande Noirceur » est peut-être plus séduisante, même chez la gent féminine, que je le croyais.  Des jeunes gens, grand bien nous fassent, ressentent ainsi donc le besoin comme l’écrivait le chanoine Groulx quelque part de « s’en aller par-dessus la tête de leurs pères, renouer avec les ancêtres notre continuité historique ».  Une chose est sure, après cette soirée, lorsque je fus de retour sur mes terres, tard dans la nuit ; à ce moment-là l’espérance m’était littéralement décuplée et je peux affirmer sur-le-champ, sans ambages, tel Bernanos, que la tradition chrétienne n’est peut-être qu’endormie en Canada et que comme nous elle ne sait pas mourir… Plaise au Seigneur Dieu de la réveiller.

 
Jean-Charles Bernier