mardi 20 décembre 2016

Sous la menace directe de la Révolution

Tous les pays sont menacés par la Révolution. Certains, cependant, lui opposent officiellement une résistance telle que les progrès de la Subversion ne paraissent pas évidents. Chez d'autres l'avance que marque la Révolution dans les institutions est partiellement compensée par un réveil de forces contrerévolutionnaires jusque-là non manifestées. Par contre en quelques pays on peut aisément constater le succès d'une violente poussée révolutionnaire.

Le colonel Château-Jobert
Un indice de la gravité de la situation se découvre dans la propagation des théories révolutionnaires et dans l'aide apportée à la Révolution par ceux-là mêmes qui devraient la combattre avec le plus d'acharnement.
« On ne doit pas douter un instant de l'existence d'une grande et formidable secte qui a juré depuis longtemps le renversement de tous les trônes ; et c'est des princes mêmes dont elle se sert avec une habileté infernale, pour les renverser... Le talent de cette secte pour "enchanter" les gouvernements est un des plus terribles et des plus extraordinaires phénomènes qu'on ait vus dans le monde » -Joseph de Maistre, Oeuvres complètes. Tome XII, p. 42

Il est bien imprudent de prétendre à évaluer les délais qui restent à un pays avant une rupture de son équilibre social. Si l'on pouvait la tracer, la courbe qui indiquerait les progrès de la Révolution serait sinueuse, voire en dents de scie, car il suffit souvent de l'influence d'un homme pour que s'opèrent de grands changements en bien ou en mal, et la rapidité même de l'avance révolutionnaire peut être la cause de réactions heureuses.

L'absence de réactions constitue précisément un avertissement très net de la menace : quand un pouvoir révolutionnaire a si habilement mené son jeu que les hommes ont perdu non seulement la liberté de réagir, mais encore la volonté de réagir pour sauver leurs droits, alors la Révolution est bien près de triompher.

C'est le cas en certains pays non encore officiellement révolutionnaires, et l'on peut dès à présent y envisager le pire : une époque de persécution peut-être suivie ou précédée d'une ère de particulières violences. À l'approche de ce temps les indices ne peuvent échapper, pour peu que l'on y prête attention. À cet effet il convient de se représenter quelle est l'ambiance d'un pays vivant sous la menace d'une emprise totale de la Révolution :

L'ennemi est beaucoup trop avisé pour dévoiler ouvertement son jeu, au moins au début. Mais la persécution sournoise a des effets aussi destructeurs qu'un régime d'exactions avouées. Au moins, dans ce dernier cas, on évite les imprudences, car elles sont immédiatement sanctionnées.

Sous un régime apparemment neutre, tout ce qui présente une tendance contrerévolutionnaire est d'abord traqué sous des prétextes d'ordre purement civique. La Révolution s'attaque insidieusement aux notions de l'ordre naturel [NDLR: famille, patrie, corps intermédiaires, la vie et la mort, l'idée même du bien et du mal, etc.] ; et toutes les manifestations d'une opposition sont représentées par le gouvernement comme des complots contre le régime. La liberté d'expression de la vérité disparaît en fait. Les procès d'opinion succèdent aux procès d'intention. La Révolution s'en prend aux grands corps de l'Etat dont l'échine ne serait pas assez souple (magistrature, cadres supérieurs de l'administration, armée, etc.).

Elle a l'habileté de n'apparaître elle-même nulle part, laissant ou faisant agir dans son sens des hommes que l'on ne pourrait prendre pour des révolutionnaires. Elle pousse même la ruse à opérer par le truchement de catholiques.

Une justice qui devrait s'opposer aux attaques d'où qu'elles viennent, contre les biens supérieurs de la nation, devient un instrument de police au profit d'un gouvernement. La loi est oubliée quand elle pourrait se dresse contre l'abandon des « buts fondamentaux et permanents de la politique nationale », mais elle est réclamée pour châtier les adversaires de la politique gouvernementale.

Pour comble d'illusion, le pays se croit encore libre. Il ne vient pas à l'esprit du peuple que les moyens d'information sont devenus des instruments asservis au pouvoir établi. Les pressions sont telles sur les esprits que ceux-ci ne peuvent plus réfléchir librement et juger en connaissance de cause. Et ils sont d'autant mieux trompés que sont plus soigneusement entretenues la fiction de la « libre discussion » et celle de la « réclamation toujours possible par les voies légales ».

Tout est fait pour maintenir ces apparences, et les hommes sont reconnaissants à un « Système » qui leur ôte toute raison de s'interroger, en leur rabâchant que tout va pour le mieux.

Souvent l'absence de soucis économiques graves suffira à estomper l'affaiblissement du niveau moral, marque certaine de la décadence d'une nation. Quand les notions de loi morale et de patrie seront attaquées et déconsidérées par les voix officielles elles-mêmes, il sera urgent de se préparer au pire, quelles que soient les apparences de prospérité matérielle qui puissent voiler l'imminence de la menace.



-Colonel Château-Jobert, La confrontation Révolution-Contrerévolution. Editions de Chiré. Chiré-en-Montreuil, 2015. Pp. 76-79