À 17 ans, ne sachant pas un mot de français, le jeune Tardivel venait, en 1868, de son lointain Kentucky, commencer ses études classiques à Saint-Hyacinthe. Après Chicoyne, dont il est question la notice précédente, il fut du groupe des fidèles de l'abbé François Tétrault, et il en garda l'empreinte sa vie entière. Tout en conservant bien sa langue maternelle, l'anglais, il apprit notre langue française à la perfection. Il se distingua dans ses classes et se fit remarquer par son esprit de discipline, son application et son amour du travail.
En avril 1873, Tardivel débutait dans le journalisme au Courrier de Saint-Hyacinthe. En septembre de la même année, il passait à La Minerve de Montréal. En 1874, il allait se fixer à Québec et entrait au journal Le Canadien, que dirigeait alors Tarte, plus tard ministre dans le gouvernement Laurier. Il fut six ou sept ans rédacteur à ce journal, écrivant souvent l'article de fond, s'essayant dans la critique littéraire, donnant à droite et à gauche de bons coups de plume qui marquaient déjà sa manière, pu amie du servilisme et nettement indépendante des partis et des coteries.
En juillet 1881, Tardivel fondait La Vérité, un hebdomadaire, qui fit son chemin, se suscita des contradicteurs, mais s'assura aussi toute une phalange d'admirateurs fervents, aux yeux de qui, pendant un quart de siècle, Tardivel fut le Louis Veuillot du Canada. Penseur puissant, très nourri de fortes lectures dans les pages des maîtres, polémiste ardent et redoutable, mais qui ne s'attaquait jamais aux personnes, le directeur de La Vérité, dans son rendez-vous de chaque semaine auprès de ses lecteurs, se montrait l'apôtre laïque de la doctrine de l'Eglise. Sa sincérité, comme sa loyauté, était évidente.
De ses principaux articles, il fit des volumes de Mélanges, au moins trois, dont le premier parut en 1887. En 1890, il publia des Notes de voyage, au retour d'un séjour en Europe. En 1895, ce fut Pour la patrie, roman du XXème siècle, ainsi que l'indiquait le sous-titre. Il donna encore diverses études sur La situation religieuse aux Etats-Unis, sur Le pape Pie IX, sur l'anglicisme, sur la langue française. En fait, il travaillait beaucoup et sa production littéraire fut abondante.
Tardivel était au physique un bel homme, de grandeur moyenne et de noble prestance, avec une tête au front chauve, une figure régulière au teint chaud, un nez droit, des yeux pénétrants, portant toute sa barbe, soigneusement taillée. Au moral, c'était la dignité en personne. Il avait épousé, jeune, Henriette Brunelle, dont il eut un fils, Paul, qui lui succéda à La Vérité, comme journaliste, et quatre filles, Mme C.-J. Magnan, Mme Omer Héroux, Mme Joseph Bégin et Mme H. Bazin.
Dix ans plus tard, à la mort de Tardivel, le même chanoine Bruchési, devenu l'archevêque de Montréal, écrivait à son fils Paul, au sujet de La Vérité : "C'est une oeuvre et non pas une affaire d'argent. Avant tout, elle veut servir l'Eglise et défendre ses intérêts... Elle ne recherche pas la sensation... Elle est pleine d'idées... Qu'elle ait eu quelquefois ses erreurs et ses torts, cela n'est pas étonnant... Mais ces erreurs n'ont jamais porté sur des points de doctrine et que sont-elles après tout comparées au bien accompli ?" Et l'éminent archevêque ajoutait : "Le fondateur de La Vérité, du reste, tous ceux qui l'ont connu intimement le savent, avait les convictions religieuses les plus profondes, un amour ardent de son pays, une loyauté et un désintéressement à toute épreuve. S'il s'est trompé, il s'est trompé de bonne foi. Je ne connais pas de journaliste qui, dans notre pays, ait reçu autant de témoignages d'estime et d'admiration. Ses adversaires comme ses amis se sont plu à reconnaître sa valeur et son mérite."
On comprend, après un pareil témoignage, venu de haut, que M. Magnan, le mari de sa fille aînée, ait pu écrire, dans l'Enseignement Primaire, comme conclusion au substantiel article qu'il donna sur Tardivel au lendemain de sa mort, ceci qui est très juste et émouvant : "Un philosophe ancien a dit que toutes les grandeurs du monde et tout le bruit qui se fait autour d'un homme pendant sa vie aboutissent fatalement à ces mort : Hic Jacet - Ci-gît ! Cette inscription tumulaire ne saurait convenir au vaillant soldat chrétien que nous pleurons. J'ai cru, je vois, voilà plutôt, comme pour Louis Veuillot, ce qu'il faudrait graver sur la croix du modeste tombeau de Jules-Paul Tardivel."
-Abbé Elie-J. Auclair, Figures canadiennes, deuxième série. Editions Albert Lévesque. Montréal, 1933. Pp. 195-200.