lundi 4 septembre 2017

Faites pénitence!

Dom Léonce Crenier (1888-1963)
Abbé du monastère bénédictin de
Saint-Benoit-du-Lac.
Tel était le cri de saint Jean-Baptiste au désert;
Telle fut la première prédication de Notre-Seigneur;
Tel a toujours été l'avertissement que les Saints ont jeté au monde;
Tel est enfin l'appel que la Très Sainte Vierge, dans ses diverses apparitions depuis cent ans, nous adresse...

Or, on ne fait point pénitence.

On n'en voit pas la nécessité.
Tout le monde semble croire qu'il suffit, pour purifier son cœur et se rendre tout-à-fait agréable à Dieu, de se confesser et d'accomplir la pénitence reçue à cette occasion.
Et non seulement on ne fait point pénitence, mais encore on recherche immodérément les plaisirs sensibles; on ne semble vivre que pour cela.

Il arrive même que l'on veuille ériger cette conduite en doctrine, et que l'on appelle « Rigorisme » ce qui n'est en réalité que le minimum de la pénitence chrétienne.
C'est là un grand mal. Si, en effet, le rigorisme est condamnable – et il l'est – la vraie pénitence est louable et nécessaire.

Il y a dans la spiritualité de nombreux catholiques d'aujourd'hui quelques grandes lacunes, et l'oubli de la pénitence en est une. La Sainte Vierge nous l'a redit en vain. Nous voudrions, dans ces quelques pages, rappeler l'enseignement de la tradition catholique sur la nécessité de la pénitence et les normes d'après lesquelles doit se régler la pratique de cette vertu, qui étant d'ordre moral, consiste en un milieu, placé entre un excès et un défaut.

Trop de mortification, c'est le rigorisme.
Trop peu de mortification, c'est le laxisme.
Au milieu, entre cet excès et ce défaut, se place la vertu chrétienne de pénitence. Là est tracée la voie étroite qui est le seul chemin pour aller au ciel.

La mortification est la répression des tendances déréglées de notre volonté et de notre sensibilité, en vue de soumettre parfaitement à Dieu ces deux facultés.
Comme nous le verrons, pour obtenir cette soumission parfaite, il est souvent nécessaire de réfréner en nous des tendances qui ne sont point déréglées.

Et pourquoi cette répression?

1- Parce que nos tendances, désordonnées depuis le péché originel, nous poussent à milles choses défendues et mauvaises.
Or, pour redresser un jeune arbre, il ne suffit pas de le ramener à la verticale : il faut le courber dans le sens opposé à celui où il penche.
De même, il nous faut parfois retrancher ce qui est permis pour pouvoir extirper ce qui est déréglé.
Comme le dit saint Thomas (De Malo, Q. 4, a. 2.) : « Le grand lien spirituel qui contenait merveilleusement toute notre nature étant rompu, sans être proprement disposés à rien, nous sommes exposés à tout, comme un vin généreux qui s'écoule en tout sens, ou comme une fougueuse monture qui n'est plus gouvernable. »
Et c'est d'abord ce déréglement qu'il faut combattre; on oublie de le faire; on semble ignorer qu'il faut le faire.

2- Parce que nos péchés personnels nous obligent à la pénitence, et pas seulement à la pénitence sacramentelle, dont on ne saurait se contenter. Aussi, le Concile de Trente (Session XIVe, chapitre VIIIe) nous conseille-t-il trois sortes d'oeuvres satisfactoires :

a) Les peines par nous spontanéement recherchées pour réparer le péché;
b) Les peines imposées par le prêtre en proportion de la faute;
c) Enfin (et ceci est la plus grande preuvre d'amour) les épreuves temporelles infligées par Dieu et patiemment supportées par nous.

3- Parce que ces péchés personnels ont encore accentué les mauvais plis laissés en nous par le péché originel. Cette conséquence vient s'ajouter à la culpabilité que nous avons encourie en commettant ces fautes, et vient rendre plus ardu, plus laborieux, le redressement auquel nous devons travailler.

4- Le quatrième motif qui nous oblige à la mortification, dit M. Olier, c'est la sainteté, qui nous doit tenir unis à Dieu et détachés de toute créature.

Le bonheur divin qui nous est destiné, dès ici-bas, exige un renoncement aux jouissances inférieures, dans lesquelles notre sensibilité pourrait s'arrêter.
Nous devons considérer la hauteur du but à atteindre. Un chrétien doit, dit Notre-Seigneur, s'efforcer d'être parfait comme le Père céleste est parfait.
Il ne s'agit donc pas simplement de mener une vie qui soit raisonnable à nos propres yeux; il faut tâcher de mener une vie divine, d'être, comme nous y exhorte saint Paul, les imitateurs de Dieu.

Il faut donc toujours tendre à ce que nous conseille saint Paul : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut, et non celles de la terre. »
La hauteur de l'idéal surnaturel qui nous est proposé demande si nous voulons y tendre que soit exclus de notre vie ce qui, sans être mauvais, détournerait de Dieu notre regard et notre activité.

5- Par esprit de religion et de sacrifice, dit M. Olier, nous devons mortifier tous nos appétits propres.

6- Par amour du prochain, c'est-à-dire pour les délivrance des âmes du purgatoire et le salut des pécheurs.

Membres du Christ, nous devons collaborer à son œuvre de rédemption, à l'exemple de saint Paul, qui disait : « Je suis plein de joie dans mes souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances du Christ en ma propre chair, je l'achève pour son corps, qui est l'Eglise. »
Quand nous réparons pour nos propres péchés, c'est la vertu de pénitence. La réparation pour les autres est charité envers le prochain.

7- Par amour pour le Christ. N'est-ce pas à ce motif que pensait saint Paul lorsqu'il écrivait que « ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises »? et lorsqu'il disait aux Philippiens : « Pour son amour, j'ai voulu tout perdre, regardant toutes choses comme de la balayure, afin de gagner le Christ et d'être trouvé en lui... afin de le connaître, lui et la vertu de sa résurrection, d'être admis à la communion de ses souffrances, en lui devenant conformes dans sa mort, pour parvenir, si je le puis, à la résurrection des morts. »

8- L'ascèse, et en particulier le jeûne, sont utiles à la santé du corps, et bien que ce motif soit naturel, nous pouvons le sanctifier par l'intention.

9 – La lutte contre le démon. Il y a, nous dit Notre-Seigneur, des démons qui ne sont chassés que par le jeûne et par la prière.
Notre lutte principale est contre les démons qui sont autour de nous, comme l'Eglise nous le rappelle tous les jours à Complies, et comme nous le dit si fortement l'Epître du 21e dimanche après la Pentecôte.

Or, les démons se combattent par le jeûne, la prière et la mortification en général.

Le tabernacle de Satan.
10- Le fait de vivre dans un temps où revit le paganisme, et à côté d'une grande nation aux trois-quarts païenne nous invite à pratiquer une ascèse encore plus assidue.

L'existence de ce néo-paganisme a été constatée en termes très attristés par Pie XI et son successeur Pie XII. Le Pape s'exprimait ainsi le 8 février 1932, dans un discours : «  … On marche donc par les voies d'un paganisme nouveau et qui matérialise la vie tout entière. Beaucoup pensent que le gain est tout, que le gain doit être rapide, afin qu'on puisse jouir de la vie, s'amuser, dominer, prévaloir. Le paganisme rentre dans la vie publique, dans la vie privée, dans la vie familiale, par suite d'un abandon de plus en plus commun des principes de modération, de retenue, d'abnégation, de respect de soi-même, de respect des autres et de toute chose respectable. »

Et l'on se rappelle les fortes paroles de Son Eminence le Cardinal Villeneuve, aux Trois-Rivières, en août dernier :

« … Je voudrais oublier le règne de la chair, les crimes secrets des époux, les libertés criminelles de la jeunesse, les audaces, les recherches, les passions, les faiblesses, les suggestions, les regards, les pensées, les sollicitations, les scandales qui jettent la génération nouvelle dans la luxure la plus effrénée, et dans des mœurs que Sodome, Babylone, Rome et Athènes, et tous les siècles païens n'ont peut-être pas dépassés... »

N'est-il pas évident que ce mal appelle une réaction d'austérité chrétienne?

Le début du 17e siècle voyait fleurir un paganisme pareil à celui d'aujourd'hui. C'est alors que se produisit la réaction des Saints, magnifiquement décrite pas Brémond comme une « invasion mystique ».

C'est le temps de Bérulle et de son Ecole, où brilla bientôt M. Olier, qui devait fonder la Compagnie de Saint-Sulpice, admirable dans tous les temps par son austérité chrétienne, qui en a fait le modèle de la perfection sacerdotale.

C'était alors aussi que surgissait cette magnifique pléiade de saints personnages qui devaient fonder le Canada et lui donner cette impulsion de vie chrétienne qui dure encore et continue de faire l'admiration des étrangers.

La réaction de sainteté du début du 17e siècle s'impose aujourd'hui pour les mêmes raisons.

On consultera, pour plus de détails :

Les œuvres de Cassien, toujours actuelles.
Les œuvres de saint Jean de la Croix, surtout la Montée du Carmel et la Nuit obscure, précieux ouvrages propres à dissiper toutes les illusions.
Les œuvres de M. Olier, et en particulier son Introduction à la vie et aux Vertus chrétiennes.
L'introduction à la Vie dévote, de saint François de Sales.
Les œuvres de Rodriguez (Perfection chrétienne).
Celles de saint Jure (L'homme spitituel).
Celles de saint Alphonse de Liguori (Dignité et devoirs du Prêtre, etc.).

Le précis de théologie ascétique et mystique, de Tanquerey



-Dom Léonce Crenier, O.S.B., Le juste milieu de la pénitence. Saint-Benoit-du-Lac. 1944.