jeudi 28 janvier 2016

Anecdotes canadiennes - Le draveur qui sacrait




Un jeune homme partait au printemps pour le flottage du bois. Son vieux curé lui avait dit :

« Mon enfant, corrige-toi ; c'est à frémir et à faire pleurer que d'entendre ton langage ! »

Le grand garçon tourna le dos en ricanant, et se rendit dans le haut Saint-Maurice.

La rivière était couverte des troncs d'arbres coupés pendant l'hiver, le courant les charriait avec rapidité. A la tête d'une chute, un de ces troncs s'échoua à fleur d'eau sur le rocher. Des centaines, des milliers s'échouèrent à leur tour, et s'amoncelèrent jusqu'à former une montagne. Ce fut une bousculade de « billots », qui, sous la violence du courant, tourbillonnaient et formaient un énorme barrage.

« Qui ira décrocher de la roche les billots d'en avant ? » demanda le contremaître avec force jurons.

« Moé », dit notre grand garçon, avec forfanterie et en blasphémant à son tour.

Il saisit son levier, monte sur l'entassement des billes, saute de l'une à l'autre, aux applaudissements des camarades, arrive au nœud de la digue, et soulève le billot qui tient la tête du barrage, en prononçant un horrible blasphème contre le Christ et le Calvaire.

Il n'en avait pas achevé les dernières syllabes, que toute la digue s'était déchaînée en une formidable avalanche. Et comme le misérable se précipitait de ce pont croulant vers la rive, deux pièces de bois bousculées en sens contraires se soulèvent et se rencontrent sur la tête du blasphémateur lui faisant voler la cervelle.

Hélas !

Il achevait son blasphème dans l'éternité.

A. Poulin, s.j.,
La lutte contre le blasphème.



Extrait de Le catéchisme en anecdotes canadiennes de l'abbé Georges Thuot (Fides, 1946)