vendredi 26 janvier 2018

Julius Evola, homme traditionnel ou cabaliste ?

INTRODUCTION
Julius Evola, né Giulio Cesare Andrea Evola.

Une étude très complète est récemment parue sur la pensée de Julius Evola, par Marco Fraquelli (1). L’Auteur condense en trois cent pages, remplies de notes et d’indications bibliographiques, la philosophie évolienne. J’essayerai d’en recueillir les points, à mon avis, les plus importants et de les pré- senter au lecteur, en les intégrant avec d’autres lectures, pour répondre à l’interrogation posée ci-dessus.

LE SUPER-IDEALISME

Evola est décrit communément comme le maître de la “dignité surnaturelle de l’homme”; elle est fondée non sur le don libre et gratuit de Dieu à l’homme, mais sur l’“INDIVIDU ABSOLU” ou sur la conception philosophique qui est appelée “Idéalisme magique”. Evola, en effet, tout en se définissant “homme traditionnel” s’est placé sur des positions idéalistes (filles de l’Immanentisme moderne), même s’il se proposait de porter l’Idéalisme classique jusqu’aux ultimes et plus radicales conclusions pratiques, au moyen de la magie et de l’ésotérisme des pseudo-religions orientales: “Le Moi magique... royal, EN DEVENANT DIEU, accomplit [avec Evola, n.d.a.] ce pas qu’il n’accomplit pas dans l’Idéalisme classique” (2 ). Comme on le verra par la suite, ce principe philosophique influencera et dirigera toutes les options spirituelles et politiques d’Evola; il n’est donc pas permis de séparer l’Evola politique de l’Evola magique pour pouvoir prendre l’un et laisser de côté l’autre. Evola veut REALISER l’Idéalisme (3 ); c’est-à-dire là où Hegel, Fichte, Shelling, se limitaient à disserter et à spéculer sur le Moi qui pose et crée l’objet extra-mental, Evola veut faire en sorte que le Moi crée VRAIMENT la réalité, en recourant, naturellement, à l’“Ars Regia” et à la magie comme pierre philosophale et alchimique par laquelle l’homme voudrait se faire “dieu” et créer le monde. L’ésotérisme représente donc le couronnement et la réalisation du principe philosophique “super-idéaliste” de Julius Evola et le choix immanentiste et “moderne” d’Evola est présent comme fil conducteur dans toute l’œuvre du “philosophe interdit” (4 ). Toute son œuvre sera centrée sur la réalisation du Moi absolu, patron de l’univers! «Evola... grâce surtout à l’apport des doctrines ésotériques et sapientiales, peut procé- der au dépassement de l’“humain”, non seulement au sens gnoséologique mais au sens PRATIQUE” (5 ). “...Du reste, Evola luimême a plusieurs fois confirmé l’impossibilité d’arriver à la définition de l’Individu Absolu à travers l’usage des seules catégories de pensée spéculative de type occidental” (6 ). Nous savons qu’il existe une seule vraie Tradition, que Dieu remit oralement à Adam (7 ), qui nous est parvenue au moyen des Patriarches et des Prophètes, que Jésus a complétée et rendue universelle, et qu’Il a remise à ses Apôtres afin que, par le Magistère de l’Eglise, elle arrivât de jour en jour, jusqu’à la fin du monde, à tout homme. Cette TRADITION VRAIE affirme, en accord avec le bon sens et le réalisme, qu’il y a un Dieu transcendant qui a voulu librement créer le monde, lequel est fini, contingent et dépendant de Dieu et que l’homme possède une intelligence qui pour saisir la vérité doit se conformer à la réalité objective, réalité qui ne dépend pas de lui, mais de Dieu. A cette TRADITION VERITABLE s’est opposée une TRADITION PARASITAIRE, FALSIFIEE qui est appelée communément GNOSE laquelle a pour origine la CABALE JUIVE (8 ) inspirée en dernier ressort par Lucifer; il fut le premier à s’écrier ‘NON SERVIAM’ et à vouloir être la fin ultime de lui-même, sans devoir se confronter et se soumettre à un Dieu transcendant. La Révélation authentique nous enseigne que cette prétention “idéaliste-magique” de Lucifer, conduisit à sa damnation éternelle et que, depuis ce moment, Lucifer ne cesse pas de tenter l’homme afin qu’il l’imite dans son misérable propos. Au Jardin d’Eden Lucifer suggéra à Eve de manger le fruit défendu pour devenir comme Dieu (“Eritis sicut Dii”) (9 ).

LE DADAISME

Otto Weininger.
Evola a été aussi un artiste en plus d’un philosophe, et son activité artistique coïncide avec la rencontre de Tristan Tzara et le mouvement dadaïste. Tzara était un juif roumain et son mouvement peut être défini comme une sorte de “forme limite de la dégénérescence artistique juive” (10) fondée sur l’exaltation du Moi et de la volonté de puissance et d’absolue liberté, qui débouche sur le libertinage. En effet, comme l’admet Evola lui-même, “les dadaïstes proclamaient... l’identité de l’ordre et du désordre, du Moi et du non-Moi” (11). Evola connut Tristan Tzara vers 1918; à cette époque - écrit Fraquelli - Evola fait largement usage des drogues et des hallucinogènes. Un autre auteur dont s’inspire alors Julius Evola fut Otto Weininger (mort suicidé), juif lui aussi; “le système weiningerien se centralise... sur la complète identité entre le Moi et l’homme: tous deux se trouvent devoir s’imposer eux-mêmes l’un contre l’autre” (12). Et le Moi-homme, dans sa nécessité de se poser contre la réalité, doit se libérer évidemment de la morale chrétienne! Un autre auteur auquel se référa Evola à cette époque est Nietzsche, qui poussera encore plus Evola à une opposition radicale contre le Christianisme. En outre il faut savoir que “en plus de l’influence nietzschéenne... les doctrines orientales, qu’Evola étudie précisément durant ces années-là, eurent aussi un rôle très important; par leur... rupture avec la Logique... elles offrirent un vaste matériel pour l’attaque anti-rationaliste de la... philosophie occidentale” (13).

LA GNOSE ORIENTALE EN PLUS ET NON PAS CONTRE L’IDEALISME MAGIQUE

 “Le tournant décisif vers le monde des anciennes traditions spirituelles, des doctrines... ésotériques et initiatiques s’accomplit chez Evola... non comme une césure mais comme un développement naturel de son idéalisme magique. L’Individu Absolu a pris conscience que le monde est sa création (...). Evola se rapproche donc de la Tradition sapientiale orientale... en recherche... de techniques... qui permettent à l’Individu de réaliser son action magique” (14). En 1925 Evola publie “L’uomo come potenza”, essai consacré au Tantrisme. “En ultime synthèse, on peut dire que les Tantras nient tout dualisme homme-Dieu; en effet le monde et l’univers sont des créations de l’homme lequel s’identifie ainsi avec le Principe absolu et divin...” (15). Vers la fin des années vingt, Evola rencontre Arturo Reghini, maçon de rite écossais, qui «non seulement rapproche Evola de la Tradition romaine... mais assume un rôle fondamental pour le définitif tournant traditionnel d’Evola en mettant ce dernier en contact avec René Guénon, le “maître sans égal” dont l’œuvre donne... un véritable centre... à tout le savoir magique et ésotérique qu’Evola avait recueilli jusqu’à ce moment» (16).

EVOLA ET GUENON

René Guénon.
Je m’intéresserai à Guénon, en détail, dans un prochain article; il faut toutefois anticiper ici qu’Evola n’est pas une pure réduction de Guénon, même si entre les deux existent des différences assez grandes, même au sein du monisme (panthéiste chez Guénon et immanentiste chez Evola). L’accord de toute façon entre les deux “grands initiés” est substantiel et plus fort que les divergences qui peuvent être ainsi résumées:

A) Evola donne le primat à l’action, à la lutte, au guerrier. Guénon au contraire le donne à la contemplation, au ‘prêtre’.

B) Evola soutient que l’Occident a sa propre Tradition. Guénon pense que l’Orient est l’unique dépositaire de la Tradition.

C) Evola considère "l’Eglise catholique comme un symbole de dégénérescence de matrice sémitique, qui a concouru à la suppression de la Tradition impériale et gibeline médiévale” (17). Guénon considère l’Eglise comme l’unique pôle EXOTERIQUE (notez bien) autour duquel peut se réveiller une Tradition ésotérique.

D) Evola est pour le primat du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel. Guénon reconnaît le primat à l’action sacerdotale, pontificale (18).

EVOLA ET LA LIGUE DU NORD (19)

On dirait une boutade, mais au fond ça ne l’est pas. En effet, Evola immortalise et idéalise l’esprit héroïque païen et antichrétien inhérent dans la Tradition occidentale, qui ne peut être l’œuvre des peuples néo-latins et catholiques, mais doit être l’œuvre des peuples germaniques. Pour Evola la Tradition occidentale est la tradition nordique précisément du guerrier, contre la fausse Tradition du sud, dominée par l’esprit religieux et sacerdotal. Et c’est pourquoi Evola croyait trouver dans le Fascisme, mais surtout dans le Nazisme, une opportunité pour pouvoir rétablir la Tradition au moyen de la restauration des valeurs nordiques, païennes et gibelines. Dans la Ligue du Nord sont certainement présents aussi des éléments évoliens qui réussissent à concilier Frédéric Barberousse avec... Alberto da Giussano! Il ne faut pas s’étonner, pour l’idéaliste la contradiction est vie.

EVOLA ANTICHRETIEN

Excommunié à plusieurs reprises, Frédéric II est 
l'archétype avant-l'heure du chef d'Etat "libre penseur".
 Complaisant pour l'islam (à la manière de Voltaire 
et de Nietzsche) au point d'en prendre les mœurs, 
il ne cesse de louanger le génie islamique contre la 
chrétienté elle-même.
La vraie Tradition pour Evola est antichrétienne, en effet le Christianisme “représente la cause première de la dégénérescence du monde moderne, c’est la force destructrice par excellence qui a alors que la vraie Tradition est ésotérique, c’est-à-dire réservée aux seuls initiés. Le Christianisme avec ses thèmes d’imploration, d’adoration, de péché, d’indignité, de limites, se réclame de la spiritualité du Sud. Ce n’est pas par hasard que l’Eglise est Mère, et que la Médiatrice de toutes grâces est la Très Sainte Vierge. En pratique, le Christianisme réalise un affaiblissement qui est typique des sociétés lunaires et sacerdotales, c’est une sorte d’“hérésie blanche”...! Contre le Christianisme se dresse l’idéal chevaleresque, gibelin qui culmine en Frédéric II défoncé tout principe traditionnel...” (20). Selon Evola, le Christianisme est le principal responsable de la chute de l’Empire Romain, de plus il est la Religion des faibles, des esclaves. Si pour Guénon le Christianisme est un succédané exotérique de la Tradition primordiale initiatique et ésotérique, avec Evola nous sommes aux antipodes (et c’est peut-être justement ce qui le rend moins dangereux, non moins mauvais, notez bien, dans la mesure où une erreur, véhiculée par une certaine part de vérité et cachée en elle, est plus dangereuse et trompeuse que l’erreur évidente). Le Christianisme pour le philosophe italien est à relier à l’élément prophétique et messianique du sémitisme, qui remplace le caractère héroïque de la Tradition nordique, par un “élan confus et agité vers le surnaturel”. Le Christianisme est en outre une Révélation universelle, c’est-à-dire pour tous les hommes,

UN SATANISTE ITALIEN...

La Revue Internationale des Sociétés Secrètes, de Mgr Ernest Jouin, entre en lice avec la revue Fede e Ragione de Fiesole, contre le paganisme d’Evola. La R.I.S.S. (21) critique lourdement l’article qu’Evola écrivit sur la La Critica fascista de Bottai en 1927: Il Fascismo come volontà d’Impero e il Cristianesimo. La prestigieuse revue française, en reprenant les thèmes développés par la revue fiesolienne, soutient que l’article évolien “n’est qu’un LONG BLASPHEME” (22); il proclame “la nette incompatibilité de la vision impérialiste de la vie avec quelque forme que ce soit de Christianisme”, réclame la restauration de l’Etat comme réalité absolue, intolérante envers une Eglise qui veut s’élever à ses côtés; au contraire l’Etat doit se dresser comme l’unique et véritable Eglise et aussi comme l’unique et vraie Religion. Pour la R.I.S.S., Evola, en partant d’une espèce de syncrétisme “judéiforme”, va encore plus loin dans sa haine contre l’Eglise. Evola est un mage, un Tantra, un super-théosophe; L’uomo come potenza est qualifié comme “œuvre satanique” dans laquelle “J. Evola prétend enseigner à l’homme le moyen de se faire dieu”. La revue décrit la méthode enseignée par Evola et soutient que nous nous trouvons en “PURE DEMONOLOGIE”; le but d’Evola est “l’absolue liberté accordée à l’homme de tout faire, même le mal, pourvu qu’il le fasse avec la persuasion d’être uni à Dieu et pénétré de sa Substance”. Déjà Luther disait: “Pecca fortiter sed fortius crede”! En bref Evola est aussi un adelphos de la dissolution. La R.I.S.S. conclut par ces mots: “[Evola] est un AGENT PROVOCATEUR DE L’ENFER, une arrière-garde de la
Maçonnerie et des sectes qui persécutent le Christ avec une haine implacable”. Tarannes reviendra sur le sujet le 1er février 1929 (22). Résumant une douzaine d’articles de Fede e Ragione (à partir du n° 16 de 1928), il affirme que les “théories d’un étrange sataniste italien [Evola, n.d.a.], sont la manifestation de l’état d’esprit judéo-maçonnique... Evola pourrait très bien être, en réalité, un AGENT DE LA SUPER-MAÇONNERIE CABALISTE” (23) qui reprend le rôle de l’antique Serpent et s’identifie au Tentateur de la Genèse... EN EFFET, D’APRES EVOLA IL FAUT SURTOUT MANGER LE FRUIT DEFENDU, FAIRE L’EXPERIENCE DU PECHE, POUR EN TROUVER L’ANTIDOTE. Quand Satan promet à l’homme de le faire devenir “dieu”, il exige toutefois des arrhes: L’EXPERIENCE DU PECHE. La conditio sine qua non pour devenir des dieux est l’expérience satanique c’est-à-dire le péché érigé en science. Dans ses écrits on trouve “la haine de Dieu, une haine furieuse, écumeuse, vraiment satanique. Haine contre le Père... haine du Verbe incarné; haine surtout de la Croix du Christ” (24). C’est vrai, objecte Tarannes, qu’Evola nie vaillamment être un sataniste; Satan en effet, selon lui, est une fable des prêtres à l’usage des enfants et des vieilles femmes. Non, Evola ne croit pas au diable, “cependant... il parle exactement comme un possédé, peut-être victime inconsciente, mais certaine, de celui dont il nie l’existence” (25). Au fond, reprend Tarannes, l’Impérialisme païen n’est rien d’autre que le Messianisme charnel du Talmud, qu’Evola lui-même critique comme source sémite du Christianisme...! Le plus important des douze articles de Fede e Ragione me paraît sans aucun doute le premier (26). L’auteur y pose les principes dont il tirera les conséquences dans les articles suivants. Il affirme que depuis le péché originel et son camouflage sous forme de serpent, dans le Paradis Terrestre, Satan ne peut plus compter sur aucun nouveau déguisement. “C’est seulement dans l’Eden qu’il pouvait être caché, parfaitement simulé sous les formes du serpent. (...) Puis... Satan devint l’assidu tentateur, mais facilement reconnaissable sous tous les déguisements” (27). L’auteur de Imperialismo pagano est cependant l’un “des plus faibles outils que Satan ait jamais employé au monde; il en donne la preuve dans l’... extrême et souvent absurde virulence” (27) de l’écrit en question. En effet Satan tient caché le blasphème ouvert. Il cache sa queue pour ne pas être vu et pouvoir mordre l’imprudent passant. Au contraire “tenir la queue allongée, (...) est signe chez les reptiles, de peu d’énergie”. Savoir cacher la queue, comme l’a fait Guénon, est un art que seuls les plus élevés parmi les initiés connaissent, et ne semble pas être l’art d’Evola dans l’Imperialismo: en effet ce qui “dans l’Eden était un artifice du séducteur, un subtil venin caché dans les plis d’une proposition, une insinuation maligne aussi bien dissimulée, devait devenir, sous la plume du maladroit auteur du livre, une grossière, vulgaire et ouverte accusation contre Dieu, par conséquent dépourvue de toute efficacité” (28).

LA CONCEPTION POLITIQUE D’EVOLA

Il y a certainement des éléments positifs dans la conception politique évolienne. Par exemple la critique émise au “libéral-libéralisme” comme philosophie économique qui tend à diminuer les idéaux de l’homme en les portant toujours plus vers les valeurs physiques, mécaniques et matérielles et en faisant d’eux une fin quand ils ne sont qu’un moyen (même s’ils ne doivent pas être méprisés, ainsi que l’enseigne l’Eglise). Le Socialisme à son tour, d’après Evola, n’est absolument pas alternatif au Super-capitalisme, puisque tous deux naissent de la même racine culturelle: la PLOUTOMANIE, le culte de l’OR. Même le Super-capitalisme libéral ne peut qu’accélérer le processus socialiste qui a besoin d’exploiteurs et d’exploités pour fomenter la haine et se servir du prolétariat comme force qui déclenche la Révolution permanente et universelle. Par ailleurs tant le Super-capitalisme que le Socialisme réalisèrent le rêve des talmudistes de devenir les uniques patrons du monde; en effet, le Super-capitalisme d’une part, concentre les richesses entre les mains de quelques familles d’ascendance juive ou d’inspiration maçonnique; le Socialisme d’autre part, en expropriant la propriété des goyim et en la confiant aux mains d’un unique propriétaire (l’Etat), qui est gouverné en grande partie par des juifs, rend réellement le talmudiste patron du monde. Evola, à ce propos, a une Mais il faut remarquer qu’avec cette théorie il se réfère à la Guerre Occulte de Léon de Poncins et de Malynski, deux auteurs catholiques contre-révolutionnaires (29). Pour Evola les concepts libéraux de prosperity et de bien-être ne sont ensuite pas très différents des concepts marxistes de l’utopie eschatologique d’un messianisme terrestre, précisément talmudique. Dans les deux cas la valeur économique “sacrifie” la valeur spirituelle, en accroissant et multipliant artificiellement les besoins matériels de l’homme, qui devient ainsi esclave de Mammon et du Veau d’or. L’époque libérale-socialiste est donc caractérisée par le primat de l’action, de la consommation, de l’agitation chaotique par rapport aux besoins de l’esprit. L’erreur évolienne, même dans ce domaine, est le péché d’un excessif élitisme qui méprise la réalité matérielle, gnostiquement, comme quelque chose de mauvais en soi; l’Eglise au contraire enseigne à hiérarchiser, à subordonner ce qui est inférieur, sans jamais le mépriser, ni non plus à s’ériger en demi-dieux intuition brillante et parle de Super-capitalisme libéral (PRIVE) et de Super-capitalisme socialiste (D’ETAT), qui conduisent tous deux à une unique ligne d’arrivée: la massification et la dépersonnalisation.

L’EUROPE DE L’APRES-GUERRE SELON EVOLA

Dans la pensée évolienne l’Europe est devenue, après l’issue désastreuse de la seconde guerre mondiale, d’un sujet de politique mondiale, un objet conditionné par l’Impérialisme de l’URSS et des USA. Selon Evola, pour échapper à la domination soviétique l’Europe a dû choisir l’Alliance Atlantique. Jusqu’à ce que l’Europe se reconstruise, non seulement économiquement mais politiquement et spirituellement, elle devra choisir l’influence américaine comme le moindre mal stratégiquement, pour éviter de tomber victime de la bien plus néfaste influence du monde communiste.

EVOLA ET LE FASCISME

L’auteur voyait dans le Fascisme une déficience de la Tradition aristocratique (ou des élites traditionnelles). Sa participation au mouvement fasciste a une finalité correctrice: le rendre un mouvement qui s’inspire de la conception idéalistico-magique et ésotérique, précisément du “philosophe interdit”, c’est-à-dire une sorte de super-Fascisme. Sa participation se concrétisera en une série d’articles, publiés dans: Vita Nuova, Il Lavoro d’Italia et Critica Fascista, toutes des revues de premier ordre. Ses articles s’attachent tous à démontrer l’incompatibilité entre le Fascisme et le Christianisme. Toutefois ils déchaînèrent une forte réaction de la part du Vatican et Evola fut “renvoyé” par le Parti. Le philosophe chercha donc à se créer une place propre, en publiant en 1928 Imperialismo pagano - Il Fascismo di fronte al pericolo eurocristiano. “Evola déclare, sans moyens termes, l’inconciliabilité de l’éthique fasciste... avec la Religion catholique. En conséquence le Fascisme doit parcourir, avec cohérence, jusqu’au bout, la voie gibeline qui conduit... l’Etat à subordonner à ses biens propres tous les autres intérêts, en particulier ceux de l’Eglise. L’Etat ne doit pas outrepasser les limites d’une tolérance générique à l’égard de l’Eglise Catholique: au contraire il doit assumer la responsabilité de se déclarer païen” (30). Mais l’appel évolien restera lettre morte, 1929 est l’année du Concordat!

RACISME “SPIRITUALISTE” 

Evola écrira quatre traités consacrés au problème de la race: Tre aspetti del problema ebraico (1936); Il mito del sangue (1937) et Sintesi della dottrina della razza publiés ensemble dans Indirizzi per una educazione razziale (1941). D’après Fraquelli «...le racisme “spiritualiste” évolien si déployé se révèle être plus un problème terminologique que non pas de substance... sous le halo spiritualiste il cacherait ce que Di Vona définit comme un “matérialisme transposé”. Le chercheur napolitain souligne en effet comment Evola, même en essayant de distinguer le vrai racisme du racisme biologique, en réalité ne s’éloigne pas beaucoup de ce dernier» (31). Contre ces écrits d’Evola, Giorgio Almirante polémiqua d’un point de vue encore plus biologiquement raciste (32).

CHEVAUCHER LE TIGRE 

En 1961 Evola publie Cavalcare la tigre où il expose pour “l’homme debout parmi les ruines” la défense des valeurs traditionnelles sur le plan intérieur, sans engagement aucun sur le plan... de l’action. Le livre est adressé “à celui qui ne peut ou ne veut se détacher du monde actuel... sans toutefois faiblir intérieurement” (33). Apolitia signifie pour Evola participer à la réalité du monde actuel, sans se laisser entraîner par lui; mais ne signifie absolument pas renoncement à l’activité, même politique. Aussi la tâche du militant est justement celle de “faire précipiter la crise”, de favoriser et non d’arrêter, les forces de la DISSOLUTION (34). Il y a certains aspects politiques, dans le système évolien, qui, pris à part, peuvent apparaître contre-révolutionnaires, et qui ont attiré de nombreux jeunes désireux de réagir contre la dégradation du monde moderne. Mais pris dans l’ensemble et situés dans l’Idéalisme magico-initiatique, ils ne constituent pas une vraie réaction au processus révolutionnaire et gnostique, mais en font partie et même en représentent une des pointes les plus avancées. Comme tant de jeunes de bonne volonté, qui, confondant la cause palestinienne avec l’Islam, se jettent dans ce dernier pour combattre le Judaïsme (alors que l’Islam n’est que le produit de celui-là); ainsi d’autres jeunes avec de bonnes idées pourraient être trompés par les quelques vérités économico-politiques contenues dans l’Evolisme et tomber dans les bras du Cabalisme magique contre qui ils voulaient lutter. L’unique vraie alternative à la Modernité est, d’un point de vue naturel, le réalisme de la philosophie aristotélico-thomiste et d’un point de vue surnaturel, l’enseignement de la Révélation biblique tel qu’il a été constamment expliqué par les Pères et par les Docteurs de l’Eglise et surtout par le Magistère pontifical. Nous avons un phare de lumière, qui est la Rome chrétienne: si nous voulons vraiment restaurer la société traditionnelle, nous ne devons rien faire d’autre que la restaurer nous-mêmes, avec l’aide de la grâce de Dieu. En conséquence, nous pourrons restaurer la famille et donc la société selon les enseignements divins de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous sont transmis par le Magistère ecclésiastique, d’époque en époque, jusqu’à la fin du monde (malgré la crise que l’Eglise traverse actuellement, mais de laquelle elle sortira de manière certaine, puisqu’elle est de constitution divine).

OBJECTIONS ET REPONSES

La kabbale juive.
 On pourrait objecter qu’il y a un Evola “politiquement bon et contre-révolutionnaire”, peu connu (35), et qu’il faut lire l’anthologie de ses écrits politiques qui vont de 1933 à 1970 (36). Cependant en lisant ce recueil d’écrits moins connus du penseur romano-sicilien, on est obligé d’y reconnaître des erreurs et des ambiguïtés. Par exemple pour Evola, le mal, l’erreur c’est surtout le “renversement et la perversion d’un ordre supérieur” (37); il cite le cas de l’Illuminisme qui n’est rien d’autre que la perversion de quelque chose qui d’abord était bon. Au commencement il y avait la secte des illuminés, qui avant de se politiser était bien autre chose que le phénomène rationaliste de l’Illuminisme; alors que les illuminés appartiendraient, selon Evola, à la Tradition primordiale, qui se référait à l’“illumination spirituelle” “...un type de connaissance lié, anciennement, à des traditions bien précises de nature toujours aristocratique... rien de commun..., avec ce que Illuminisme (...) signifie maintenant”. Naturellement, poursuit l’Auteur «cela vaut aussi pour la grande partie des symboles des “rites” et de la “dignité” de la Maçonnerie. Ici... il s’agit d’éléments qui renvoient souvent aux antiques Rose-Croix, à l’Ordre des Templiers... c’est-à-dire à un monde qui constitue l’antithèse la plus forte des idéologies propres à la secte maçonnique» (38). En bref, la Maçonnerie actuelle ou spéculative est une dégénérescence de quelque chose qui au commencement était très bon: la Maçonnerie opérative. C’est cette fausse conception qui a trompé beaucoup de personnes qui sont entrées dans la Franc-Maçonnerie pour retrouver et reconstruire son esprit traditionnel, contre la dégénérescence de la Maçonnerie spéculative, mais en se retrouvant de fait, peut-être sans s’en apercevoir, manœuvrées par un marionnettiste qui se réfère certes à une Tradition, mais à la tradition perverse et impure du Serpent, qui s’appelle la Cabale pervertie. Malheureusement chez Evola on trouve beaucoup du cabaliste et très peu de l’homme traditionnel!

Une autre objection est celle qui tend à minimiser l’antichristianisme d’Evola, qui aurait revalorisé l’Eglise catholique (comme Charles Maurras) par rapport au Christianisme des origines. Toutefois si on lit attentivement Rivolta contro il mondo moderno (qui est l’œuvre capitale d’Evola, remontant à 1934 et donc postérieure de six ans à Imperialismo pagano), on remarque que les choses ne restent pas ainsi et que le préjugé antéchristique d’Imperialismo est maintenu, même s’il est exprimé de manière moins virulente. “Le Christianisme des origines. Ceci est le point après lequel advient la descente. (...) A tout ceci devait s’ajouter l’action supplantatrice du Christianisme... La présence de certains éléments traditionnels dans le Christianisme (et ensuite, dans une plus large mesure, dans le Catholicisme) ne peut compromettre la reconnaissance du caractère destructeur propre à ces deux courants” (39). Mais attention, l’Auteur affirme que le Christianisme a des éléments traditionnels, le Catholicisme (qui ensuite est exactement la même chose que le Christianisme) en a certains en plus, mais, tous les deux (Christianisme et Catholicisme) ont un caractère DESTRUCTEUR! Carrément pour Evola la doctrine du Corps Mystique du Christ contient en germe “une influence ultérieure régressive et involutive, que le Catholicisme lui-même, malgré sa romanisation, ne sut et ne voulut JAMAIS entièrement dépasser” (40). Donc le Catholicisme a TOUJOURS été un phénomène involutif et régressif. On arrive directement au BLASPHEME quand Evola écrit: «Celui qui considère les témoignages énigmatiques des symboles, ne peut pas ne pas être touché par la part qui revient à l’âne dans le mythe de Jésus. Non seulement l’âne figure auprès de la naissance de Jésus, mais c’est sur un âne que la Vierge et l’enfant divin fuient et, surtout l’âne est la monture du Christ dans son entrée triomphale à Jérusalem. Or L’ANE est un SYMBOLE TRADITIONNEL D’UNE FORCE “INFERNALE” DE DISSOLUTION» (41). Tout commentaire est superflu! De la même manière en traitant du Moyen Age gibelin, Evola écrit: “Même dans sa forme ATTENUEE ET ROMANISEE CATHOLIQUE, la foi chrétienne représente une obstruction...”. Et encore: «Le Catholicisme présente PARFOIS des traits “traditionnels”, mais qui ne doivent pas induire à l’équivoque: CE QUI DANS LE CATHOLICISME A UN CARACTERE VRAIMENT TRADITIONNEL EST BIEN PEU CHRETIEN ET CE QUI EN LUI EST CHRETIEN EST BIEN PEU TRADITIONNEL... Le Catholicisme manifeste TOUJOURS l’esprit des civilisations lunaires-sacerdotales...» (42). En bref, dirait certain “traditionaliste”, le Catholicisme est... clérical! Donc... faisons les cavaliers. Par ailleurs, le même Evola dans une interview accordée à Gianfranco Di Turris (publiée sur le n° 11 de L’Italiano, novembre 1971), à peine quatre ans avant de mourir, confirmait que le concept de Tradition d’après lui “est, essentiellement, le sens que lui donne René Guénon”. Et par rapport au fait que certains groupes qui se disent traditionnels, et qui ont souvent suivi ses idées se sont ensuite convertis au Catholicisme, Evola affirme sans hésiter: “Je trouve que cela est plutôt DECOURAGEANT... Celui qui se dit traditionnel pour être catholique, n’est pas traditionnel qu’à moitié... Je suis prêt à reconnaître... celui qui est sincèrement catholique et qui au moyen d’un arrangement quelconque personnel a trouvé, ainsi, un sens de la vie et une sécurité. Je me garderai de le troubler, s’il reste dans son domaine et s’il reste tranquille. La chose est différente dans le cas de celui qui a eu l’occasion de connaître de plus vastes horizons, à caractère pas simplement religieux, mais métaphysique. Alors on doit parler sans aucun doute d’une régression ou d’un échec... On serait tenté de remettre les choses à leur place de manière énergique, si elles en valaient la peine” (43).

CONCLUSION

Il me semble donc pouvoir affirmer - sans peur d’exagérer - qu’Evola n’est pas l’homme de la Tradition divine, mais celui de la Cabale impure, et que cette Tradition luciférienne, Evola l’a enseignée et vécue jusqu’à la fin; en effet, en 1953 paraissait Gli uomini e le rovine, dans lequel il rappelait sa position gibeline selon laquelle entre Etat sacral et Religion chrétienne existe une profonde antithèse. Evola arrivera ainsi à affirmer: “Celui qui est traditionnel en étant seulement catholique, au sens courant et orthodoxe, n’est traditionnel qu’à moitié” (44). Le dernier livre d’Evola: Cavalcare la tigre, de 1961, “marque un retour à ses [d’Evola] positions personnelles de départ, c’est-à-dire celles d’un élan profond vers la négation radicale du monde et des valeurs existantes” (45). Le Serpent se mord la queue





-Abbé Curzio Nitoglia. (1996). Julius Evola, homme traditionnel ou cabaliste ? In Sodalitium (n.41), 59-67



Notes 

1) M. FRAQUELLI, Il filosofo proibito, Terziaria, Milano 1994. 
2) Ibidem, p. 21. 
3) Cf. Teoria dell’Individuo assoluto, Bocca, Torino 1927, pp. IV-V. 
4) Cf. Saggi sull’Idealismo magico, Atanòr, Roma 1925. “Fenomenologia dell’Individuo assoluto”, Bocca, Torino 1930. 
5) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 43. 
6) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 48.
7) Cf. Sodalitium n° 32, pp. 27-44. 
8) Cf. P. DRACH, De l’harmonie entre l’Eglise et la Synagogue, Paul Mellier, Paris 1844. DON J. MEINVIELLE, Dalla Cabala al progressismo, Roma 1989. 
9) Cf. V. BARBIELLINI AMIDEI, La Tradizione contraffatta, in Adveniat Regnum, année IX, n° 3-4, 1971, p. 7. 
10) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 6. 
11) JULIUS EVOLA, Il cammino del Cinabro, Scheiwiller, Milano 1972, p. 22. 
12) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 10. 
13) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 13. 
14) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 50. 
15) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 51. Voir aussi: M. BLONDET, Gli Adelphi della dissoluzione, Ares, Milano 1994. 
16) M. FRAQUELLI, op. cit., pp. 53-54. Concernant Arturo Reghini on peut lire E. ZOLLA, Uscite dal mondo, Adelphi Milano 1992 et R. DEL PONTE, Evola e il magico ‘Gruppo di UR’, SeaR, Borzano (RE) 1994. On remarque que le psychanalyste freudien et juif Emilio Servadio faisait partie du groupe de UR. 
17) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 56 
18) P. D. VONA, Evola, Guénon, De Giorgio, SeaR, Borzano (RE) 1993. 
19) La Ligue du Nord: parti politique italien qui voudrait séparer le Nord d’Italie de Rome (“Loin de Rome” est sa devise). 
20) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 62. 
21) Cf. A. TARANNES, Un sataniste italien, J. Evola, in Revue Internationale des Sociétés Secrètes, n° 4, 1er avril 1928, pp. 124-129. 
22) Cf. A. TARANNES, Le “fasciste” Evola et la mission transcendante de l’Eglise, in Revue Internationale des Sociétés secrètes, n° 2, 1er février 1929, pp. 43-68. 
23) Ibidem, pp. 44-45. 
24) Ibidem, p. 48. 
25) Ibidem, p. 51. 
26) MINIMUS, risposta a Satana, in Fede e Ragione, 15 avril 1928, n° 16, pp. 121-123. 
27) Ibidem, p. 121. 
28) Ibidem, p. 122. 
29) L. DE PONCINS, E. MALYNSKI, La guerra occulta, ed. AR, Padova 1989. 
30) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 261. 
31) M. FRAQUELLI, op. cit., p. 270. 
32) G. ALMIRANTE, Ché la diritta via era smarrita, in La difesa della razza, V, n° 13, 5 mai 1942, pp. 9-11. 
33) JULIUS EVOLA, Cavalcare la tigre, ed. Scheiwiller, Milano 1961, p. 171. 
34) Cf. M. BLONDET, Gli Adelphi della dissoluzione, Ares, Milano 1994 - P. VASSALLO, Modernità e tradizione nell’opera evoliana, Thule, Palermo 1978. 
35) Cf. J. VAQUIÉ, Léon de Poncins est-il un disciple de R. Guénon et de J. Evola?, in Lecture et Tradition, n° 157-158, mars-avril 1990, pp. 35-42. 
36) J. EVOLA, Fenomenologia della sovversione, SeaR, Borzano (RE) 1993. 
37) J. EVOLA, op. cit., p. 27. 
38) Ibidem, pp. 28-29. 
39) J. EVOLA, Rivolta contro il mondo moderno, ed. Mediterranee, Roma 1969, pp. 339-341. 
40) Ibidem, p. 345. 
41) Ibidem, p. 348. 
42) Ibidem, pp. 350-352. 
43) J. EVOLA, Orientamenti, ed. Il Cinabro, Catania 1981, pp. 30-32. 
44) J. EVOLA, Il cammino del cinabro, Scheiwiller, 67 Milano 1972, p. 174. 
45) R. INCARDONA, L’impegno per una ‘vera Destra’ nella vita e nell’opera di Julius Evola, Palermo 1994, p. 34. Le Serpent se mord la queue...!