mardi 19 mars 2019

Le Premier Patron du Canada

Cet article provient du site Mission saint Jean de Brébeuf, pour le catholicisme en Canada français. Bonne lecture!


Nous avons la joie de publier ici le texte d’un tract datant du début du XXe siècle, qui présente le patronage particulier de Saint Joseph sur le Canada.
Le Premier Patron du Canada
par le
R . P . LECOMPTE, S. J.
   Cum permissu Superiorum
    _______
Nihil obstat.
   E. HEBERT, Censor Librorum.
Imprimatur.
   + GEORGES, évêque de Philippopolis.
16 mars 1919.

Le premier Patron du Canada
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img_0454Dès les premiers temps de la colonie, saint Joseph fut choisi pour son Patron spécial et son Protecteur. Le Canada devançait ainsi la sainte Église elle-même, qui ne devait se le donner comme Patron qu’en 1870. Pouvait-on faire un choix plus excellent ?
M. l’abbé Charles Sauvé, S.-S., dans son admirable livre sur le Culte de Saint Joseph, nous fait pénétrer dans cet Éden délicieux que fut à Nazareth la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph. De là, remontant au sein de la Divinité, il crayonne en traits magnifiques les grandes lignes du plan divin relatif au mystère de l’Incarnation : Jésus prédestiné au-dessus de tous les hommes et de tous les anges, de tous les mondes, en tête du « Livre de vie », livre de grâce, de gloire, d’amour et de bonheur éternels. Après Jésus, pour Jésus, avec Jésus, Marie prédestinée au-dessus de toutes les créatures, Mère du Dieu vivant, dont le nom ne fut jamais séparé dans la pensée de Dieu du nom de Celui qui devait être la Vie du monde. Au-dessus des anges et des autres saints, Joseph après Marie est choisi, préféré, prédestiné pour elle et pour Jésus ; par son mariage virginal avec Marie, Représentant de l’éternelle paternité du Père qui est dans les cieux, il préparera au monde en union avec la Vierge Mère, le souverain Prêtre et la divine Victime, et par sa sainteté sera digne de ce rôle incomparable à l’égard de Jésus et de Marie.
C’est en effet dans ce rôle que l’on trouve l’explication de toutes les grandeurs qui font de Joseph un saint unique, sans rival après l’auguste Mère de Dieu.
Saint Joseph devait avoir sa part au mystère de l’Incarnation, part discrète sans doute mais déjà si pleine de beauté et d’harmonie. Ainsi Dieu le voulut digne du Verbe Rédempteur et de sa Mère ; veillant dans sa Providence spéciale sur l’ordre hypostatique, il le fit pour le service et le charme céleste des deux personnes qui lui étaient le plus chères ; et peut-être n’irons-nous pas trop loin, si nous conjecturons avec de graves théologiens que la ressemblance physique, que l’on se plaît à reconnaître entre Jésus et Marie, se retrouvait encore à un certain degré en Joseph, sorti comme la Vierge de la même tige de Jessé, issu de la même famille royale de David.
Mais que dirons-nous des dons de l’âme, dons naturels d’abord : intelligence, bonté, tact, distinction, prudence, qui rapprochaient Joseph de Marie, selon cet aphorisme que l’amour, l’amitié trouve l’égalité entre deux âmes ou la fait ? Plus encore, les dons surnaturels devaient rendre l’âme de l’époux de Marie et du père nourricier de Jésus capable d’entrer comme de plain-pied dans la merveilleuse région des mystères divins et d’y évoluer à l’aise. Rôle à la fois sublime et effacé : afin de couvrir de son ombre, pendant trente années, contre les regards indiscrets des contemporains, le double éclat, inconnu jusqu’alors, de la virginité d’une mère et plus encore de la divinité d’un fils, il s’interposa entre eux et la foule, semblable à l’un de ces beaux nuages lumineux qui, arrêtant les rayons de l’astre du jour en les absorbant, ne laissent plus venir jusqu’à nous qu’une lumière voilée et une douce fraîcheur. Pour être préparé de longue main à pareille fonction, saint Joseph fut, nous pouvons le croire, sanctifié dès le sein de sa mère, orné des vertus divines et des dons de l’Esprit-Saint, et même tellement libéré de toute concupiscence que, par respect pour la plus pure des vierges et pour son Fils infiniment saint, Dieu ne laissa peut-être jamais s’élever dans son âme le moindre de ces mouvements dont les plus grands saints, d’ordinaire, ne sont pas exempts. — Pour marquer d’un seul trait les grâces suréminentes que Dieu avait départies à Joseph en vue de sa suréminente dignité, les théologiens disent avec Suarez qu’il « appartient à l’ordre hypostatique ». L’Église, voulant dans sa liturgie se mettre plus à la portée des fidèles, emploie l’expression plus accessible mais non moins profonde que saint Joseph « appartient à la Sainte Famille », qu’il est « le Chef de la Sainte Famille ».
Après un tel rôle, et rempli si magnifiquement, il ne faut point s’étonner de voir Joseph occuper dans le ciel une place à part, au-dessous sans doute de la Reine Mère, mais au-dessus de tous les anges et les saints. La Sainte Famille s’est reconstituée au ciel : Jésus, Marie et Joseph ne se séparent pas plus là-haut qu’ici-bas. En instituant la fête de la Sainte Famille, l’Église n’a pas voulu seulement nous rappeler un souvenir, mais proposer à notre culte une réalité, une actualité. Après la Trinité trois fois Sainte, ce groupe incomparable fera le ravissement des élus pendant l’éternité.
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La gloire de Joseph dans le ciel n’a eu son reflet sur la terre que longtemps après les splendeurs du culte prodiguées à Jésus et à Marie. On eût dit que le Père nourricier de Jésus et l’Époux virginal de Marie, cessant son rôle d’ombre tout en gardant celui de personnage discret et silencieux, se retirait à l’écart pour permettre désormais au Verbe incarné et à sa Mère de briller sans voile et de s’imposer ainsi plus rapidement aux hommages de l’univers.
Le culte du saint Patriarche apparut d’abord en Orient, notamment chez les Coptes; de là il passa en Occident où l’on vit, au XIIe siècle s’élever, une église en son honneur, et bientôt surgir des âmes saintes vouées au culte nouveau, un saint Bernard, un saint Thomas d’Aquin, une sainte Gertrude, le chancelier Gerson, mais surtout la grande réformatrice du Carmel, sainte Thérèse qui, dans une page célèbre, rendit à saint Joseph un témoignage dont l’extraordinaire influence se fait encore sentir. — C’est sous le pontificat de Sixte IV vers la fin du XVe siècle, que fut instituée, le 19 mars, la fête de Saint Joseph. Grégoire XV, en 1621, la déclara fête d’obligation. Sainte Thérèse avait su inspirer à ses filles la dévotion qui lui tenait tant au cœur : une fête nouvelle y prit naissance qui peu à peu se propagea d’un diocèse à l’autre, à mesure que les évêques la demandaient, c’était la fête du Patronage de Saint Joseph. Pie IX, très dévot au Patriarche, se chargea, en 1847, de l’étendre à toute l’Église. Ce fut lui encore qui, le 8 décembre 1870, alors que sous un ciel chargé d’orages l’effroi étreignait tous les cœurs, proclama saint Joseph Patron de l’Église universelle.
Nous n’avons encore parlé que de l’Europe. — Le Père Faber, dans son livre si pieux, Le Saint Sacrement, racontant la naissance et les progrès de la dévotion au saint Patriarche, trace en quelques lignes graphiques ce qu’elle fut à l’origine du Canada : « Puis, lorsqu’elle eut rempli toute l’Europe de ses suaves parfums, elle traversa l’Atlantique, s’enfonça dans les forêts vierges, embrassa tout le Canada, devint pour les missionnaires un auxiliaire puissant; et des milliers de sauvages firent retentir, au coucher du soleil, les bois et les prairies du Nouveau Monde des hymnes en l’honneur de saint Joseph et des louanges du Père nourricier de Notre-Seigneur » (Cité par l’abbé Ch. Sauvé, op. cit.: p. 386).
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Il est certain que le Canada s’est de tout temps distingué par sa dévotion à saint Joseph. Il eut la bonne fortune de recevoir pour premiers missionnaires des religieux de deux Ordres qui professaient une particulière dévotion au saint Patriarche. Dès 1624, saint Joseph était choisi comme Patron spécial de la Nouvelle France : « Nous avons fait une grande solennité, écrivait le Père Le Caron, Récollet où tous les habitants se sont trouvés et plusieurs sauvages, par un vœu que nous avons fait à Saint Joseph, que nous avons choisi pour Patron du pays et Protecteur de cette église naissante. »
En 1637, le Père Le Jeune, de la Compagnie de Jésus, pouvait écrire de Québec : « La Feste du glorieux Patriarche Sainct Joseph, Père, Patron et Protecteur de la Nouvelle France, est l’une des grandes solemnités de ce pays ; la veille de ce jour, qui nous est si cher, on arbora le Drapeau, et fit-on jouër le canon. Monsieur le Gouverneur fit faire des feux de réjouissance, aussi pleins d’artifices que j’en aie guère vus en France. D’un costé on avait dressé un pau, sur lequel paraissait le nom de Sainct Joseph en lumières ; au-dessus de ce nom sacré brillaient quantité de chandelles à feu, d’où partirent dix-huict ou vingt petits serpenteaux qui firent merveille. . . Le jour de la Feste, nostre Eglise fut remplie de monde et de dévotion quasi comme en un jour de Pasques, chacun bénissant Dieu de nous avoir donné pour protecteur le protecteur et l’Ange Gardien (pour ainsi dire) de Jésus-Christ son Fils. C’est, à mon advis, par sa faveur et par ses mérites, que les habitants de la Nouvelle France demeurans sur les rives du grand fleuve Sainct Laurens, ont résolu de recevoir toutes les bonnes coustumes de l’Ancienne, et de refuser l’entrée aux mauvaises. »
Les Hurons, qui avaient été mis plus spécialement sous l’égide de saint Joseph, en conçurent bientôt une si vive dévotion qu’elle leur mérita d’Urbain VIII, en 1644, un bref dont l’original se garde aux archives du collège Sainte-Marie. Le pape leur accordait une indulgence plénière pour la visite de la chapelle de Saint-Joseph au Fort Sainte-Marie, le jour de la fête du Saint et pendant l’octave.
Le 16 mars 1649, le bourg de Saint-Ignace et le bourg de Saint-Louis tombaient successivement aux mains des Iroquois. Ce jour-là même, le P. de Brébeuf rendait sa grande âme à Dieu dans d’indicibles tourments. Le lendemain, le P. Lalemant expirait à son tour, après de plus longues souffrances. Restait le Fort Sainte-Marie, dernier rempart des Français et des Hurons. Il allait subir, le 18 mars, l’assaut des Iroquois victorieux.
« Nous redoublons de dévotions, écrit le P. Ragueneau, nostre secours ne pouvant venir que du Ciel. Nous voyans à la veille de la feste du glorieux Sainct Joseph, Patron de ce pays, nous nous sentismes obligés d’avoir recours à un Protecteur si puissant. Nous fismes vœu de dire tous les mois chacun une Messe en son honneur, l’espace d’un an entier, pour ceux qui seraient Prestres ; et tous tant qu’il y avait de monde icy, y joignirent par vœu diverses pénitences.
« Tout le jour se passa dans un profond silence de part et d’autre, le pays estant dans l’effroy et dans l’attente de quelque nouveau malheur.
« Le dix-neuvième, jour du grand Sainct Joseph, une espouvante subite se jetta dans le camp ennemy, les tins se retirans avec désordre, les autres ne songeans qu’à la fuite. Leurs Capitaines furent contraints d’obéyr à la terreur qui les avait saisis ; ils précipitent leur retraite. »
Singulièrement belle encore est la relation du départ du fort Sainte-Marie, l’année suivante, pour se réfugier dans « l’île de Saint-Joseph » et y constituer « la mission de Saint-Joseph. »
Les missionnaires aimaient ainsi à donner le nom du Patriarche aux lacs, aux îles et aux baies qu’ils découvraient, aux églises et aux bourgs qu’ils fondaient.
Dans une lettre de 1668, le premier évêque de Québec parle avec affection du « bienheureux Saint Joseph, Patron spécial de cette Eglise naissante ». Son successeur dresse en 1693 un acte par lequel il établit une « confrérie en l’honneur de Saint Joseph à Ville-Marie et lieux circonvoisins », et rappelant le choix de ce saint comme « premier protecteur et patron de cette colonie », il exhorte les prêtres à « inspirer et augmenter autant qu’il sera en eux l’amour et la dévotion envers ce grand Saint ».
Ville-Marie était depuis trente-six ans sous la houlette des Messieurs de Saint-Sulpice. Ils avaient hérité de leur saint fondateur un amour très tendre pour saint Joseph. Le Père Faber, un peu avant le passage déjà cité et après avoir dit ce que les maisons du Carmel et les collèges des Jésuites firent pour cette dévotion, ajoute : « Saint-Sulpice l’adopta, et elle devint l’esprit du clergé séculier. » — Le Canada participa notoirement à cette belle émulation du clergé séculier et des communautés religieuses pour promouvoir le culte de notre premier Patron. Dans tous les diocèses, d’un océan à l’autre, que d’églises, de chapelles, d’oratoires, de collèges, de couvents, d’académies, d’écoles, érigés sous le vocable du virginal époux de la Mère de Dieu ! Véritable floraison de lis qui se mêlent à ceux de l’auguste Vierge Marie pour embaumer la terre canadienne : Flores apparuerunt in terra nostra !
Parmi toutes les sociétés religieuses dont s’honore le Canada, il en est une qui, dès son berceau en France, s’est signalée au service du saint Patriarche par un amour des plus vifs et des plus entreprenants, je veux dire la Congrégation de Sainte-Croix. L’amour de prédilection de cette société pour saint Joseph passa naturellement au Canada avec ses premiers apôtres en 1847, et depuis ce temps n’a fait que s’accroître. L’on s’explique alors que Dieu, voulant ménager au Patron du pays et de la Sainte Eglise une glorification nouvelle, destinée peut-être à devenir mondiale, ait choisi de préférence pour cette œuvre la pieuse Congrégation de Sainte-Croix.
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Oratoire Saint Joseph de Montréal
Qui ne sait l’origine très humble de l’oratoire Saint-Joseph au Mont-Royal, et l’extraordinaire allure de la dévotion des fidèles qui en fait déjà un but de pèlerinage prodigieux : c’est d’abord une médaille de saint Joseph déposée en 1896, par un religieux de Sainte-Croix, sous les racines d’un vieux pin ; c’est ensuite, comme résultat , l’achat du terrain convoité ; puis c’est un petit belvédère juché près du sommet de la montagne ; puis une toute petite chapelle qui, peu à peu, sous la poussée des foules accourant de tous côtés, s’élargit, s’allonge, s’élève, et prend enfin les proportions de la crypte monumentale, au-dessus de laquelle se dressera bientôt, nous l’espérons, la basilique définitive, consacrée à la gloire de Saint Joseph, Père, Patron et Protecteur du Canada.
N’est-ce pas un coup de la Providence que la ville de Marie ait été élue pour théâtre de ces merveilles, et plus spécialement cette partie privilégiée du Mont-Royal que le peuple appelle Côte-des-Neiges et que l’Église avait depuis longtemps dédiée à la Vierge très pure, sous le beau nom de Notre-Dame-des-Neiges ? Comme si l’Épouse vierge du Patriarche de Nazareth, sans craindre de diminuer l’élan des âmes vers sa sainte mère « la bonne Sainte Anne », nous invitait elle-même à nous rendre en foule auprès de son virginal Époux, en nous disant : Ite ad Joseph, allez à Joseph !
Il est évident que la pensée de Dieu est de répandre à flots ses grâces dans les cœurs par la médiation du saint Patriarche, et que s’il est prêt à guérir les corps des maladies, des infirmités qui les torturent, il veut plus encore le renouveau des âmes, le Sursum corda qui les rapproche, par l’imitation, des vertus si chères au cœur de Joseph, comme aux Cœurs de Jésus et de Marie : l’humilité et la douceur, la pureté, la justice et la charité, l’obéissance au souverain Maître et à ses représentants sur la terre.
Tel doit être — surtout en ce beau mois qui lui est consacré, — le caractère essentiel de notre culte au premier Patron du Canada.