jeudi 11 avril 2019

L'Eglise catholique a construit notre pays

« Ils (les ecclésiastiques) vivent, depuis 1791, en un État parlementaire, où les guides, se tirant désormais de la foule, exigent la formation constante d'équipes de chefs. La colonie est, par surcroît, enfiévrée de la bataille des races; les guides ont besoin d'instruction supérieure, non seulement pour s'acquitter de leurs fonctions parlementaires, mais d'abord pour conquérir à leur race, dans la vie politique de la province, la part qui lui revient. Cette race, en effet, une minorité de fonctionnaires anglophones l'exclut des hauts postes de l'administration, de la magistrature, de l'exécutif, de la Chambre haute; et le prétexte de l'ostracisme, c'est l'ignorance, l'incompétence foncière du conquis au maniement des institutions britanniques. Le reproche d'ignorance, voici longtemps que toute la nationalité canadienne le reçoit au visage comme un soufflet. Que faut-il de plus à des prêtres patriotes qui vivent très près de leur peuple, partagent ses aspirations et ses souffrances, qui, depuis toujours, ont pourvu à ses besoins intellectuels, que leur faut-il davantage pour apercevoir comme une autre besogne urgente, la formation de nouvelles équipes de dirigeants, et par conséquent l'élévation, dans la province entière, du niveau de l'instruction? qu'à ce dessein se mêle l'ambition d'embrigader des ouvriers de relève pour le sacerdoce, rien de plus sûr. Ce qu'ils veulent dans le principe, c'est opposer tout uniment des Ecoles supérieures aux Ecoles de l'Institution Royale. Et si le dessein primitif finit par s'élargir, c'est qu'avec le temps il n'a pu que se modeler à la mesure de ces grands cœurs de prêtres.

Le curé Antoine Girouard (1762-1832).
Fondateur du séminaire de Saint-Hyacinthe.
Prêtres au grand cœur! C'est bien ainsi que ces fondateurs continuent d'apparaître aux fils innombrables, aux vastes familles spirituelles engendrées par eux. Quand on fait la mesure de leurs labeurs, de leurs sacrifices souvent héroïques peu de figures en notre histoire s'y montrent d'une grandeur plus achevée, A l'origine de ces maisons de l'enseignement, l'on ne voit nulle part la riche dotation, le large crédit de l'Etat, le bienfaiteur opulent qui font à l'oeuvre un berceau confortable. Toutes vont naître dans l'indigence, par les soins et les peines d'un curé à la bourse toujours vide, à la soutane rougie. Des sept collèges ou séminaires surgis de 1800 à 1840 six auront pour fondateurs des curés de campagne. Déjà chargés d'un lourd ministère, ces hommes y ont ajouté délibérément le fardeau de pareilles entreprises; ce fardeau, ils l'ont assumé, en ayant supputé le poids écrasant, mais avertis, par l'instinct de leur foi, de la qualité vitale de pareilles œuvres. Presque tous y ont mis d'abord leurs biens personnels, quelques-uns se dépouillant parfois jusqu'au dénûment, se plongeant allègrement dans les dettes. Pour venir à bout de dépenses de toutes sortes, ils s'abîmeront de privations; pour cumuler tous les rôles, ceux de directeur, de professeur, de préfet d'études, d'économe, de bâtisseur, ils s'abîmeront de fatigues et de veilles. Sur tous leurs biens sacrifiés, ils ne sauront même pas se réserver la paix de leur presbytère, dont ils feront une ruche bruyante, y logeant la première génération de leurs écoliers. A la construction de son collège, l'abbé Painchaud travaillera comme un simple manœuvre, charriant en traîneau à bâtons la pierre des champs, le bois de charpente, et, les jours de corvée, menant la charrette à la tête de cent autres. L'abbé Ducharme, qui, en son presbytère, vit plus pauvre qu'un moine, s'excuse un jour de n'aller point saluer son évêque, « par honte de se montrer mal vêtu. »

C'est grâce à notre clergé,
Si le français est resté
Et tant qu'ça existera
Hourra pour le Canada ! 
- Madame Bolduc, Les Colons Canadiens.


Cet entier dévouement, l'oeuvre ne l'exige pas qu'à l'heure de sa fondation. Elle se refuse à vivre d'autre chose. En ces collèges institués pour un peuple pauvre, l'Education est d'un prix dérisoire qui dépasse à peine la gratuité. Au collège de Montréal, en 1837, et ses conditions ne sont que l'ordinaire, il n'en coûte encore, pour la pension, qu'un louis quinze schellings par mois, sur quoi nombre de pensionnaires reçoivent de fortes remises. En ces conditions, comme bien l'on pense, fort peu de ces fondateurs se sentent embarrassés de leurs surplus. Tous n'amassent que des dettes et le spectre de la banqueroute se tient en permanence au seuil de leur maison. A demi désemparé, l'un d'eux, l'abbé Girouard, crie à son évêque: « J'ai 800 louis de dettes. » A Nicolet, le pain manque absolument en 1811 et l'économe se voit sur le point de renvoyer la communauté. Lorsque s'ouvre, à l'Assomption, la classe de régent, c'est autour d'une table qui n'est autre chose qu'une vieille porte posée sur des chevalets, que les premières élèves dégusteront les délices du rosa, rosae. »

« Ces misères sont-elles au moins les seules qui les viennent assaillir? Hélas! ... »


L'ABBÉ GROULX.
(Extrait de Le français au Canada).



-Lambert Closse, La Réponse de la Race - Catéchisme national. Thérien frères limitée, 1936. P. 397-399.