lundi 1 avril 2019

Sur le patriotisme

Le patriotisme est ce que j'appellerais un sentiment fondé. Il s'appuie sur le pays et s'alimente à l'histoire. L'éloquence, les manifestations populaires, les impulsions d'un amour imprécis et coutumier peuvent l'animer pour un temps ou le réchauffer, mais elles ne constituent pas sa raison profonde. La volonté ne vit pas que de paroles : elle est longuement déterminée par une formation qui s'applique à la fortifier, à la diriger afin qu'elle résiste aux attraits passagers, aux mouvements du dehors. Celui qui ne connaît pas son pays l'abandonnera plus facilement; celui qui néglige la leçon de l'histoire sacrifiera plus légèrement aux disciplines du passé l'intérêt du jour.

L'école a la garde du patriotisme. Elle l'éveille, elle le développe, elle le transmet. Voilà sa mission nationale : la vraie, celle qui ne tient pas seulement dans un mot dont on abuse si aisément. Le maître doit donc apprendre son pays pour l'enseigner, et méditer l'histoire afin d'en communiquer la vertu. Il n'est pas de plus belle tâche. Heureux celui qui sera parvenu à la poursuivre jusque dans l'âme de l'enfant!

Qu'il s'attache, par exemple, à tirer du milieu immédiat le secret fécond des choses. Il y trouvera des sources insoupçonnées. Nous apprécions si peu le décor qui pourtant accompagne, immuable en apparence seulement, les actes de toute notre vie. Les montagnes et les fleuves, les arbres et les fleurs, nous les chantons sans les connaître, sans nous être arrêtés à saisir les traits qui les distinguent et les embellissent. Nous disons : « Que cet oiseau est joli! » Et c'est tout. Aucun nom ne l'accompagne s'il s'envole, aucun nom n'accueille le plaisir de son retour. Nous avons un ami de moins. Tenez vous-même l'inventaire de nos insouciances. Parcourez la route : qui l'a tracée, de quoi est-elle faite, où conduit-elle? Est-elle morte ou vivante, ou ressuscitée par l'automobile? Regardez mieux les maisons et vous comprendrez combien peu jusque-là vous vous étiez arrêté vraiment. De quels matériaux sont-elles assemblées? Traduisent-elles une architecture qui les apparente au point de révéler votre caractère? Le village même, où prend place la maison d'école, comment s'est-il déroulé le long de la route? Et les hommes, ceux que nous appelons nos compatriotes, avons-nous remarqué leurs figures et distingué en eux l'origine française? Ces mille leçons, n'est-ce pas nourrir son patriotisme que de les vivre?

L'histoire est aussi une noble discipline. Cette fois, c'est le passé qui nous pénètre et nous guide. Nous le glorifions volontiers, nous disons : « Notre foi, notre langue et nos droits ». Prenons garde que ce ne soit ainsi que nous disions tout à l'heure : « Que cet oiseau est joli ! » L'histoire n'est pas que des dates de batailles, mais bien humanité et vie Dans ce milieu que nous voudrions avoir mieux connu, des hommes ont vécu, fidèles à des traditions. Interrogeons-les, cherchons à comprendre leurs attitudes, reconstituons leurs gestes. Ainsi notre volonté, associée à la leur, s'affermira vers l'avenir.

O maître de d'école, l'on te demande beaucoup pour le peu que l'on te donne ; mais ta consolation dépassera ton sacrifice. Tu prépares les destinées du peuple. Il restera quelque chose de toi quand bien des puissants de la terre, que l'on te préfère aujourd'hui, seront définitivement disparus.



-Edouard Montpetit



-Lambert Closse, La Réponse de la Race - Catéchisme national. Thérien frères limitée, 1936. P. 266-268.