lundi 24 décembre 2018

Le Noël oublié

Une nostalgie bien légitime

À cette époque de l’année, il m’arrive d’être triste, non pas de mourir d’ennuyance mais d’être
« L'adoration des bergers » de de Charles-André Van Loo.
chagrin. Gardien farouche du patrimoine et de la tradition au Québec, je n’ai pas cherché dans le présent article à ressusciter le vieil art épistolaire, mais à remuer des souvenirs par un choix de mes meilleures lettres puisées dans mes archives personnelles, documents à connotation familiale.

Par le biais de ces missives, je me suis attardé à recréer le vécu, les soucis, les observations, les espoirs, les doléances de parents et de grands-parents.

Beaucoup d’êtres chers ne sont plus, mais par les souvenirs tangibles, ils restent, dans le creuset de mes pensées, les plus ancrés dans mon esprit.

Avec de vieux amis, je songe souvent à ces souvenirs d’autrefois, bons et moins bons; nous attisons les cendres encore tièdes du passé pour mieux réchauffer, semble-t-il, notre cœur qui se fait grelottant.

Autrefois ce n’est pourtant pas si loin…à peine soixante-dix ans, à peine soixante, mais c’est quand même ‘’autrefois’’ et … en ce moment de recueillement, nous éprouvons le besoin de vous parler de ces Noël de jadis qui ont marqué notre enfance.

Les hommes sont bien méchants s’ils méprisent le passé et se moquent éperdument des traditions qui ont donné à notre vie familiale, à notre vie nationale un charme qui fut un moment de notre histoire et l’une de ses raisons d’être.

Les premiers Canadiens-français ont su tenir et maintenir le flambeau de l’espoir. On vivait de peu; on se contentait de peu. On espérait, on attendait et pour eux la fête de Noël, c’était l’étoile de Bethléem, une étoile d’espérance dans un ciel d’une pureté sans mélange. Voilà de quoi nous sommes émus et voilà ce que nous voulons vous écrire.

Des hommes rudes au cœur d’or


Nous avons connu plusieurs de ces hommes durs, de ces hommes rudes au cœur d’or. Et lorsque nous parlons de cœur d’or, nous ne voulons pas dire qu’ils étaient sans défaut et sans péché, nous voulons dire que le moment venu, au milieu de toutes les épreuves, au milieu de toutes ces misères vécues ensemble, les Canadiens-français s’entraidaient; ils avaient un sens de l’humain et du chrétien qui est en train de disparaître de nos jours.

Pour ces gens simples, le soir de la messe de minuit, comme on disait dans le temps, marquait une étape franchie; marquait pour eux une joie commune capable à elle seule d’effacer toutes les épreuves d’une année.

Je me rappelle, et ma mémoire en est toute remplie, de clartés d’aurore : je veux dire de la première nuit de Noël où je fus jugé assez sage pour accompagner mes parents chez mes grands-parents à Saint-Gérard Magella et de là, on m’amènerait en traîneau à la messe de minuit.

C’était maintenant l’hiver qui s’annonçait. Une épaisse couche de neige recouvrait la terre. Les chemins en étaient encombrés. Pour indiquer les pistes, on bordait le sentier des traîneaux de branches d’arbres plantées dans la neige. C’était beau de voir ces routes blanches s’en allant en zigzag entre deux haies de jeunes sapins. De temps en temps on voyait un traîneau s’aventurer dans cet étroit passage. L’hiver, les passants entendaient une musique vibrante; c’était beau à entendre, lorsque les chevaux au petit trot faisaient sauter sur leurs croupes la bande sonore des grelots.

Ma première messe de minuit


Cette première messe de minuit, cette longue route deux fois parcourues au son des grelots, à une heure inaccoutumée, cette veille de Noël, cette soirée d’hiver est restée dans ma mémoire chargée de lumière et d’étoiles !

Par Edmond-Joseph Massicotte.
C’était une belle nuit limpide et froide, cette soirée du 24 décembre. Les étoiles scintillaient dans le ciel. La neige grinçait sous le traîneau et miroitait comme une nappe diamantée. Nous partîmes de bonne heure pour aller à l’église. Le chemin qui y conduisait, était long de près de trois milles, et la parenté qui voulait communier devait aller, dans la soirée, attendre longtemps et avec dévotion son tour d’entrer au confessionnal.

J’allais enfin voir, à l’heure nocturne où il revient mystérieusement dans sa crèche, l’Enfant-Dieu, tout habillé de lin et de dentelles, l’Enfant-Jésus dont le nom seul passe comme un câlin dans l’imagination des petits.

L’humble église rayonnait de toute la clarté de ses cierges. Et nous écoutions chanter les voix qui clamaient la venue du Messie. Trois cents voix entonnaient d’une voix forte et vibrante tous les beaux refrains des noëls d’antan, dont l’origine se perd dans le passé, « Ça bergers, assemblons-nous, Il est né le Divin Enfant, les Anges dans nos campagnes, Nouvelle Agréable, Adeste Fideles », tous ces cantiques et tous ces airs nous étaient depuis longtemps familiers.

Le Réveillon


Après la messe, la joie était dans tous les cœurs. Le Christ Sauveur est né. Il nous apporte un message d’amour et de partage, semblaient dire toutes les lèvres. Et pendant que les chevaux trottaient sur les routes durcies et que les grelots carillonnaient gaiement, on pensait au réveillon bien chaud qui nous attendait chez grand-mère. Elle avait mis le couvert avant la messe de minuit. En arrivant, elle servit un ragoût d’un fumet surprenant, des pâtés de viande dont la croûte fondait délicieusement, des croquignoles tressées, entortillées d’un goût d’amande, des tartes aux petites fraises des champs sucrées comme du miel. Après le plantureux repas, c’était le réveillon et les conteurs des Belles histoires des pays d’en Haut.

Un tournant radical


Alors qu’auparavant nous vivions d’une façon réfléchie à des besoins culturels et spirituels qui avaient façonné le Québec, de nos jours l’anticléricalisme déguisé sous le clinquant de la laïcité, s’oppose à l’enseignement de l’Église.

Une République laïciste fidèle à son idéologie dite « laïque » refuse toutes références au Noël chrétien qui célèbre depuis des millénaires la nativité de Jésus, représentée traditionnellement par la crèche.

La mémoire religieuse est estampée par un déferlement païen illustré par de stupides Pères Noël joufflus, affligés de gros rires gras et démentiels, se tenant à l’entrée des nouveaux temples de la (sur)consommation. Les mentions de « Joyeuses Fêtes » (quelles fêtes?) s’étalent triomphale-ment en lieu et place du « Joyeux Noël » d’antan qui signifiait la joie de fêter le Verbe fait chair, né de la Vierge Marie et couché dans sa pauvre mangeoire entre le bœuf et l’âne, les deux seuls témoins de la création entière avec Marie et Joseph.

Soyons lucide


Il faut bien le dire puisque c’est la vérité. La grande industrie et le modernisme avec tout son confort et le progrès bruyant nous dévorent, et ce qu’il y a de plus anti-chrétien a commercialisé et paganisé nos fêtes religieuses.

Ce qui avait été jadis notre fierté et notre joie de vivre, de vivre une vie simple, unie et tranquille, de vivre une vie de famille, tout cela est disparu. Deux guerres mondiales atroces, celle de 1914 et celle de 1939, ont contribué à relâcher les liens qui consolidaient, qui maintenaient notre force et notre survivance. Il y a toujours un peuple canadien-français. Cette bonne race n’a pas encore accepté de mourir. Mais il faut admettre tout de même que notre abandon progressif des traditions qui composaient le principe même de notre originalité, et parmi ces traditions, des belles fêtes d’autrefois, nous a fait perdre quelques plumes.

Certes encore, nous tentons de continuer ces traditions de Noël, du Jour de l’An et des Rois. Mais nous croyons que ces fêtes ont perdu de leur puissance d’attraction spirituelle et fraternelle.

On passe les fêtes dans des bars et clubs de nuit le plus souvent, ou dans des établissements de grand chic. On y fait beaucoup de bruit et les bibelots inutiles coûtent de plus en plus cher. Le modernisme nous dévore et nous tue. Le snobisme aussi ! C’est avec tristesse que nous écrivons ces vérités.

On nous traite de passéistes en ce sens, que nous attachons une importance capitale au passé et à certaines traditions que nous voudrions voir renaître comme le feu qui reprend dans ses cendres.

Une lueur d’espoir


« L'adoration des mages » de Charles-André Van Loo.
Lors de la naissance de Jésus, il y avait à Bethléem, des Anges dans le ciel, au dessus des collines. Ces Anges éclatants de lumière emplissaient d'aurore la nuit froide et ils annonçaient aux bergers la naissance de l'Enfant-Jésus; et ils chantaient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux; Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »

De nos jours, les Anges reviennent près des crèches de Noël, et je sais qu'autour des crèches de nos églises, il y a encore des Anges qui prennent des formes gracieuses et souriantes; ils sont vêtus de blanc; ils ont des yeux clairs et pétillants; et parfois des boucles blondes ou noires encadrent leurs petites têtes éveillées.

Ils prient avec les mains jointes sur leurs petits cœurs fervents; et ils chantent en chœur dans la nuit, « Les Anges dans nos campagnes ». Vous les connaissez bien, vous aussi, chers enfants de chœur, puisque c'est vous-mêmes. Vous devez être bien heureux de prendre, tout près du petit Enfant-Jésus, la place des Anges du ciel !

Approchons-nous chers enfants ! Les clochers, cette nuit pendent du ciel comme des lis, et le son des cloches est suave comme un parfum. Approchons-nous ! Rentrons dans l'église ! Et que j'amène avec moi ce pauvre abandonné qui pleurait là, au coin de la rue, dans sa honte et son dénuement. Et que je lui dise : « Viens-t'en, mon petit frère ! Car c’est la nuit de la naissance de notre Sauveur à tous. »



-LL