mercredi 28 septembre 2016

Le dieu de Descartes

Quand Descartes veut introduire le "Cogito" comme point de départ de sa philosophie, il doit d'abord
rejeter toutes les connaissances antérieures dans un doute méthodique, comme il l'appelle, c'est-à-dire artificiel et systématique. Il y avait déjà dans cette prétention exorbitante une attitude absurde. On ne fait pas à volonté, par une décision arbitraire, le vide de son esprit.

Lorsque nous commençons à réfléchir, à philosopher, nous avons une matière sur laquelle notre esprit travaille, des données premières, des objets de connaissance sur lesquels nous pouvons élaborer une réflexion. On ne pense pas le rien, mais quelque chose. Cette position du doute méthodique peut se dire, mais ne peut pas se pratiquer, parce que notre âme spirituelle est faite pour la Vérité et donc pour des certitudes; le doute n'étant qu'un passage provisoire entre l'ignorance et la certitude et supposant déjà des connaissances certaines pour s'y appuyer.

Comment se fait-il donc que Descartes ait éprouvé le besoin d'exclure de ce doute méthodique les vérités de la Foi?

Si nous pouvons douter, comme le prétend Descartes, de tous les objets réels qui nous entourent et dont nous percevons à longueur de journées l'existence, comment pourrions-nous ne pas douter, à plus forte raison, d'un monde surnaturel dont nous n'avons aucune perception directe? La prétention de Descartes est intenable et les cartésiens du XIXe siècle n'auront pas grand effort à faire pour nier l'existence de ce surnaturel: ce sera, par exemple, l'attitude de Renan.

Reste que Descartes, contre toute vraisemblance, maintient les certitudes religieuses hors de tout doute méthodique. On a dit qu'il voulait ainsi échapper aux foudres du Saint-Office. Peut-être et de fait, après sa mort, ses ouvrages seront mis à l'index, comme vous le verrons.

Il y a une autre explication. L'existence de Dieu et les vérités surnaturelles connexes à cette existence ne sont pas reçues de l'extérieur par la perception sensible, ni par l'enseignement d'un magistère, toutes choses incapables, nous dit Descartes, de nous permettre d'atteindre la certitude; ce sont des vérités évidentes par elles-mêmes, idées claires et distinctes, perçues immédiatement par l'intelligence dans son exercice immanent.

Le "Cogito" devient alors cette formule: "Je pense Dieu, donc Dieu est". L'existence de Dieu est toute dans ma pensée, elle est suspendue à ma pensée. "C'est presque la même chose de concevoir Dieu et de concevoir qu'il existe", nous dit Descartes.

Le "presque" est admirable. On y voit une hésitation avant d'affirmer une formule aussi absurde. On pourrait y voir une précaution envers les critiques qui ne sauraient tarder de s'élever devant une telle prétention. En fait, si c'est presque la même chose, ce n'est donc pas purement la même chose, ce n'est donc pas du tout la même chose.

Mais Descartes poursuit sa pensée: "En revenant à examiner l'idée que j'avais d'un être parfait, je trouvais que l'existence y était comprise, en même façon qu'il est compris en celle d'un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits". C'est l'argument, appelé ontologique, de saint Anselme assorti d'une comparaison évidemment mathématique. Si un triangle existe, ses trois angles sont égaux à deux droits, mais cela ne prouve pas l'existence du triangle.

L'existence n'est pas un attribut que l'on pourrait ajouter à d'autres. La définition du triangle est sa nature, mais non son existence. L'idée de perfection rentre dans la nature de Dieu, donc dans son essence, mais non dans son existence. Je ne puis ajouter à la perfection de Dieu l'idée d'existence de telle sorte que, l'existence étant niée, Dieu ne serait plus parfait, puisqu'il lui manquerait quelque chose. En effet, si Dieu n'avait pas l'existence, il n'aurait aucune des perfections qu'on pourrait lui attribuer: bonté, force, amour, etc. Quand on dit: "Dieu est souverainement juste", par exemple, l'existence est comprise dans le verbe "être" et ne s'ajoute pas comme complément à sa justice pour le parfaire, l'achever. Ainsi donc l'idée de perfection ne contient pas l'idée d'existence.

Il fallait, pour Descartes, ramener la notion de Dieu à une définition mathématique: l'existence est comprise dans l'idée, mais cela ne pose pas l'existence dans le réel hors de ma pensée. C'est une première formule de l'Immanence vitale que les Modernistes n'auront pas de peine à développer. Elle était déjà contenue dans les affirmations du Cartésianisme prétendument chrétien.

Maxime Leroy, dans son ouvrage intitulé "Descartes, le philosophe au masque" nous dit que ses démonstrations religieuses sont "diaboliquement ergoteuses" et que c'était une "âme fuyante", expression appliquée par saint Pie X au Modernistes.


Etienne Couvert, De la gnose à l'oecuménisme. Editions de Chiré. Chiré en Montreuil, 1983. Pp 63-66