lundi 5 septembre 2016

Trois philosophes païens sur la source du pouvoir et l'origine de l'autorité

Mgr Laflèche, évêque des Trois-Rivières
Après avoir interrogé la révélation et l'histoire, nous allons présentement nous adresser à la
philosophie et lui demander de vouloir bien nous dire, à son tour, ce qu'elle pense de l'origine de l'autorité et de la base essentielle de toute société. Elle va nous répondre par ses plus illustres représentants, ces hommes de génie qui, par leurs judicieuses observations des faits de l'histoire et leurs patientes investigations des lois qui régissent l'ordre social, ont réellement mérité l'admiration des hommes et le titre de philosophes, ou amis de la sagesse, qui leur a été décerné. Nous ne craindrons pas même d'invoquer le témoignage de deux hommes que les libéraux les plus avancés ne sauraient récuser. C'est le témoignage du sophiste Jean-Jacques Rousseau lui-même, et celui de l'impie Voltaire. Ces deux hommes, qui ont fait un abus si étrange des rares qualités que la Providence leur avait départies, ont rendu un témoignage bien éclatant à la vérité que nous exposons, quand la haine épouvantable qu'ils portaient à la religion et à tout ce qui se rattache à Dieu leur laissait quelques moments de répit, et permettait à la lumière de leur raison de se faire jour à travers le nuage épais dont la corruption de leur cœur et la perversion de leur esprit avaient enveloppé leur intelligence.

Trois des plus beaux génies de l'antiquité, Confucius chez les Chinois, Platon chez les Grecs et Cicéron chez les Romains, ont recherché avec soin. à des époques et dans des pays bien différents, ce que devait être un gouvernement, une société, pour atteindre à la perfection; et, chose extrêmement remarquable, l'idéal le plus parfait d'une société politique, tel que ces grands génies avaient pu le concevoir, c'est ce que nous voyons réalisé dans la législation mosaïque, et surtout dans le christianisme.

Confucius vivait environ six cents ans avant la naissance de Jésus-Christ. Dans notre dernier article, nous avons exposé ses principes sur la base d'un bon gouvernement. Or cet homme avait entrevu, à la seule lumière de la raison, qu'il était complètement impossible d'asseoir la société et l'autorité d'un gouvernement quelconque sur un autre terrain que le terrain religieux; que la religion était nécessairement la base et le point d'appui de l'ordre social.

Cicéron
Il pose donc en tête de ses ouvrages philosophiques qu'il existe un Suprême Seigneur, souverainement intelligent, dans le cœur duquel tout est marqué distinctement, qui pardonne au repentir et qui se laisse fléchir à. la prière et qui entend les cris des peuples. Le Trône est le siège même de ce Seigneur Suprême, et c'est lui qui donne les règles de gouvernement, et les lois sont les ordres mêmes du ciel. C'est lui qui conserve tous les royaumes dans les quatre parties du monde. On trouve un passage bien remarquable, surtout dans la doctrine de Confucius, c'est l'attente du Saint qui doit venir porter la loi à sa perfection et étendre son règne dans tout l'univers. Il disait que le Saint envoyé du ciel saurait toutes choses, et qu'il aurait tout pouvoir et dans le ciel et sur la terre.

Ne croirait-on pas entendre un prophète en lisant ces paroles ?

Un siècle plus tard, commençait à fleurir, en Grèce, le plus éloquent des disciples de Socrate, le sage Platon. Voici comment il expose les principes fondamentaux de la société politique et des lois civiles, dans les traités qu'il écrivit sur ces sujets :

" Ce n'est pas un homme, mais Dieu qui peut fonder une législation. En conséquence, l'ordre que le législateur humain doit suivre et qu'il doit prescrire à tous, c'est de subordonner les choses humaines aux choses divines, et les choses divines à l'Intelligence souveraine. Jamais homme n'a fait proprement de lois : c'est Dieu qui, en gouvernant tout l'univers, gouverne eu particulier toutes les choses humaines par sa Providence. Prions Dieu, dit-il, pour la constitution de notre cité, afin qu'il nous écoute, nous exauce et vienne à notre secours, pour dispenser par nous son gouvernement et ses lois."

Si le sage de la Chine parle comme un prophète, le langage du philosophe grec ne ressemble-t-il pas il celui d'un chrétien ?

Écoutons maintenant le grand orateur romain. Dans son Livre des lois, Cicéron dit: " Pour établir le droit, il faut remonter à cette loi souveraine qui est née de tous les siècles avant qu'aucune loi eût été écrite, ni aucune ville fondée. Pour y parvenir, il faut croire avant tout que la nature entière est gouvernée, par la Providence, que l'homme a été créé par le Dieu .Suprême, et que, par la raison, il est en société avec Dieu... Je vois que c'était le sentiment des sages que la loi n'est point une invention de l'esprit de l'homme, ni une ordonnance des peuples, mais quelque chose d'éternel qui régit tout l'univers par des commandements et des défenses pleins de sagesse.

" ...Dès notre enfance, dit-il, on nous accoutuma à nommer lois les ordonnances des hommes; mais, en parlant de la sorte, nous devons toujours nous rappeler que les commandements et les défenses des peuples n'ont point la force d'obliger à la vertu et de détourner du péché. Cette force est non-seulement plus ancienne que toutes les nations et les cités, elle est du même âge que ce Dieu qui soutient et régit le ciel et la terre... C'est pourquoi la loi véritable et souveraine à laquelle il appartient d'ordonner et de défendre, est la droite raison du Dieu suprême.,. Où cette loi est méconnue, violée par la tyrannie d'un seul, de plusieurs ou de la multitude, non seulement la société politique est vicieuse, il n'y a plus même de société. Cela est encore plus vrai d'une démocratie que de tout autre gouvernement."

Platon
Voilà comment la raison humaine, dans la personne de ses plus illustres représentants, s'exprime sur
l'origine de la société et la source de l'autorité. En se rappelant que ces hommes de génie, vraiment dignes du nom de philosophes, vivaient avant la promulgation de l'Evangile, et en dehors des vérités révélées, on est étonné de la force et de la clarté avec lesquelles ils s'expriment sur cette question importante, et partout combattue avec tant d'opiniâtreté et d'aveuglement par l'école du libéralisme moderne. N'est-il pas évident que c'est là une de ces vérités primordiales dont la connaissance, indispensable à l'existence même de la société, a été gravée en caractères indélébiles au fond de l'intelligence humaine ?

Plutarque trouvait cette vérité d'une telle évidence, qu'il ne craignait pas de dire " qu'on bâtirait plutôt une ville dans les airs que de constituer un Etat sans la croyance des Dieux."

" C'est donc un fait incontestable, conclut le savant historien de l'Eglise, que toute l'antiquité a subordonné le temporel au spirituel, le civil au religieux. Non-seulement cela était, mais les philosophes les plus célèbres de cette même antiquité, Confucius, Platon, Cicéron, soutenaient que cela devait être sous peine d'une damnation irrémédiable. "

Enfin, les doux hommes qui ont le plus contribué au travail gigantesque et aux bouleversements de la révolution, Voltaire et J.-J. Rousseau, n'ont pu s’empêcher de reconnaître cette vérité. Dans les moments de calme que la haine de la religion et l'aveuglement de l'orgueil leur laissaient, ils en ont fait les aveux les plus éloquents, et lui ont rendu les témoignages les plus forts. Qu'il nous suffise de citer les paroles suivantes : " Jamais Etat ne fut fondé, dit Jean-Jacques Rousseau, sans que la religion ne lui servît de base." Et Voltaire dit que " partout où il y aura une société établie, la religion est nécessaire,"

Voilà comment la philosophie s'unit à l'histoire et vient confirmer ce que nous a enseigné la révélation sur l'origine de l'autorité et le terrain sur lequel repose nécessairement l'ordre social. Comme nous le voyons, elle ne renverse pas moins énergiquement la doctrine libérale des démagogues, d'une société constituée en dehors du principe religieux.



Abbé Louis-François Laflèche, Quelques considérations sur les rapports de la société civile avec la religion et la famille. Eusèbe Sénécal, Imprimeur-éditeur. Montréal, 1866. Pp. 181-185.